Laissons donc de côté tout ce que les paroles ont de vain, et n’en recherchons que le fruit, à l’instar non des bouquetières, mais des abeilles. Les premières en effet ne songent qu’aux fleurs et aux feuilles qui ont le plus de parfum et d’éclat ; elles les assortissent et les entrelacent à dessein de former un ouvrage agréable mais éphémère et stérile. Au contraire, les secondes sans cesse voltigeant au milieu des prairies émaillés de violette, de roses ou de jacinthes, descendent en piqué jusqu’au thym, de loin le plus âcre et le plus amer, et s’y posent ; « façonnant l’or du miel », elles y prennent ce qui est utile et s’envolent dans leurs ruches vaquer à leur travail. Un auditeur raisonnable et curieux de s’instruire méprisera cette langoureuse floraison verbale et tous ces sujets propices à la pompe du théâtre et à l’éloquence épidictique.
Mais par la profondeur de sa méditation, il s’insinuera dans l’esprit du discours et cherchera quelle a été l’intention de l’auteur. Et il extraira de l’œuvre ce qu’elle a d’utile et de profitable, se souvenant qu’il n’est pas venu à une représentation théâtrale ou lyrique, mais qu’il se trouve dans une école, dans un lieu où l’on s’instruit et où il a le dessein de réformer sa conduite à partir des paroles qu’il entend. Pour apprécier un discours qui s’offre à nos oreilles et pour en formuler un jugement, nous devons donc partir de nous-mêmes et de nos dispositions intérieures en examinant si l’une de nos passions a perdu de son activité, si l’un de nos chagrins s’est atténué, si notre confiance et nos résolutions se sont affermies, si nous éprouvons un enthousiasme plus vif pour le bien et pour la vertu. Quand on sort des mains d’un barbier, on se présente devant le miroir et on se tâte, examinant la manière dont les cheveux ont été taillés et le changement ne produit pas la coupe. À plus forte raison, en sortant d’une conférence ou d’un cours, nous devons reporter aussitôt notre regard sur nous-mêmes, étudier notre âme et chercher à reconnaître si elle s’est purifiée des affections importunes dont le poids la surchargeait pour devenir plus paisible et plus douce.
Source : Plutarque - Comment écouter, Juger les discours par les bénéfices qu'on en retire