La fibule de Préneste – Le plus ancien écrit en latin

Un artefact étrusque

Une des plus anciennes inscriptions en latin archaïque se retrouve inscrite sur une fibule, un petit accessoire de mode permettant d’agrafer et de retenir les extrémités d’un vêtement. Cette fibule d’une dizaine de centimètres fut exhumée dans les années 1870 à Préneste, une ancienne ville du Latium au centre de l’Italie lors de fouilles d’anciennes tombes étrusques — ces derniers peuplant alors la région jusqu’à passer sous l’influence de la Rome antique, apportant avec eux de nombreuses innovations aussi bien techniques (urbanisme, construction, hydraulique, etc.) que sociales (calendriers, institutions, organisation militaire, rituels, etc).

Reconstitution du sanctuaire de Fortuna Primigenia à Préneste construit après -82

Datée du VIIe siècle avant J.C., la broche fut découverte dans l’ancienne nécropole de cette ville située à un peu moins de 40 kilomètres de Rome. Les plus anciennes tombes de ce site datent de la période orientalisante de la civilisation étrusque, soit entre 720 et 580 avant J.C. D’autres objets tels que des bijoux carthaginois ou phéniciens en argent, en or ou en ambre montrent que les étrusques avaient à cette époque des échanges avec notamment les Grecs qui les connaissaient sous le nom de Tyrrhéniens (relatif à la mer Tyrrhénienne).

Néanmoins, c’est bien en latin archaïque que cette inscription fut gravée, dans une langue apparentée aux dialectes italiques tels que l’osque, l’ombrien ou le falisque — toutes ces langues ayant une origine indo-européennes contrairement à la langue étrusque.

Fibule de Préneste
Illustration de la fibule de Préneste en 1887

Le latin archaïque

L’inscription, se lisant de droite à gauche (sinistroverse), se transcrit et se lit ainsi :

Inscription originale𐌠𐌏𐌉𐌔𐌀𐌌𐌖𐌍 : 𐌃𐌄𐌊𐌀𐌇𐌅 : 𐌄𐌇𐌅 : 𐌃𐌄𐌌 : 𐌔𐌏𐌉𐌍𐌀𐌌
En caractères latins (sinistroverse)IOISAMUN : DEKAHF : EHF : DEM : SOINAM
En latin archaïque (dextroverse)MANIOS MED FHE FHAKED NUMASIOI
En latin classiqueMANIVS ME FECIT NVMERIO
En françaisManios m’a faite pour Numérius

La conscience de la transformation des langues et de leur évolution était déjà présente chez des auteurs de l’Antiquité tardive comme Isidore de Séville, classant la langue latine en plusieurs phases selon le développement et l’expansion du monde romain :

« Certains ont dit qu’il existe quatre langues latines : la primitive, la latine, la romaine, et la mixte. La primitive, usée par les plus anciens Italiens sous le règne de Saturne et de Janus, est grossière, comme le sont les chants saliens. La latine était parlée sous Latinus et les rois toscans, par tous les habitants du Latium ; c’est celle dans laquelle furent écrites les douze tables. La romaine commença à apparaître après que le peuple romain eut chassé les rois : c’est celle que diffusèrent Naevius, Plaute, Ennius, Virgile, et, parmi les orateurs, Gracchus, Caton, Cicéron, et beaucoup d’autres. La mixte domine depuis que des hommes et des mœurs étrangers ont pénétré de concert dans la civilisation romaine, après l’établissement d’un empire plus étendu, corrompant l’intégrité du vocabulaire par des solécismes et des barbarismes. »

Isidore de Séville (560 – 646)

La fibule, accessoire de mode

De petite taille, souvent en métal (fer, bronze, argent, or), parfois incrustée de pierre précieuses, la fibule est non seulement un accessoire de mode mais aussi un élément de parure, donnant lieu à de délicates ornementations grâce aux progrès de l’orfèvrerie et à de nombreuses formes.

Remplaçant à partir de l’âge de bronze tardif le simple nœud donné au vêtement pour le retenir, la fibule restera présente dans la mode vestimentaire jusqu’au Moyen Âge — avant de réapparaître pour donner lieu à l’épingle de sûreté !

Romains en vêtements traditionnels avec de gauche à droite : des femme nobles, une esclave, un licteur, un empereur et un noble. Des fibules sont visibles pour plusieurs d’entre eux au niveau de l’épaule.

D’autres fibules du même style que celle de Préneste ont également été retrouvées recouvertes d’inscriptions, comme cette fibule en or avec un décor et une inscription en granulation. Cette dernière, en langue étrusque, nous donne à lire une dédicace sur l’objet et son propriétaire :

« Je suis la fibule de Arath Velavesna. Mamurke Tursikina m’a donnée. »

Fibule d’Arath Velavesna

Enfin les formes varient suivant le métal, les coutumes ou les symboles de l’époque, avec des fibules en spirales, des fibules dites à sangsue ou en scorpion suivant la forme du corps et de l’aiguille, mais aussi des fibules zoomorphes reprenant divers animaux en guise d’ornements :

Fibule étrusque à spirales
En forme de cheval marin
En forme de sanglier
En forme de poisson
En forme de paon
Sources : 
- Illustration de la fibule de Préneste tel que publiée par Hermann Dessau
- Fibule en spirale et zoomorphes - Musée du Louvre