Archéo-musicologie – L’épitaphe de Seikilos

Une mélodie du passé

De nombreuses décorations sur des fresques, des peintures ou des vases ainsi que des écrits placent la musique au cœur de la pensée grecque dans l’Antiquité. Abordée tour à tour du point de vue esthétique, philosophique ou mathématique dans les textes qui nous sont parvenus, les techniques de composition musicale ou les partitions se font quant à elles plus rares.

La « Chanson de Seikilos » est une des plus anciennes mélodies grecques connue, datée du IIe siècle avant J.C. et découverte par hasard au XIXe siècle durant la construction d’une ligne de chemin de fer à Aydın en Turquie, le long de la mer Égée. Cette chanson est gravée sur une stèle funéraire avec une épitaphe d’un certain Seikilos pour un membre de sa famille et fut reconstituée par la suite grâce aux détails gravés dessus incluant à la fois le texte et la partition musicale.

Stèle portant l’inscription de Seikilos

L’épitaphe commence avec une inscription composée de deux vers permettant d’identifier l’auteur, Seikilos :

La pierre que je suis est une image.
Seikilos me pose ici,
d’un souvenir immortel signe durable.

Puis, la suite du texte comprend la courte mélodie – une maxime épicurienne rappelant la brièveté de la vie et l’importance de jouir du temps qu’il nous reste – avec des annotations musicales grecques :

Tant que tu vis, brille !
Ne t’afflige absolument de rien !
La vie ne dure guère.
Le temps exige son tribut.

Le texte se décompose donc des paroles avec au dessus les symboles pour indiquer la mélodie, ici transposée avec leur équivalent dans une notation musicale moderne :

À gauche : l’inscription grecque sur la stèle de Seikilos
À droite : sa transposition musicale moderne

Grace à cette composition musicale complète, plusieurs interprétations ont pu être faites pour nous rendre cette mélodie vieille de plus de deux mille ans et que Seikilos aura dédié à un être cher, soit sa femme, soit son père :

L’archéologie musicale

Malgré le peu de textes retrouvés détaillant les compositions musicales de l’époque, plusieurs tablettes en écriture cunéiforme et datées du premier millénaire avant notre ère gardèrent leurs mystères jusque dans les années 1950. La compréhension du vocabulaire puis des systèmes de composition musicale permirent peu à peu de déchiffrer ces tablettes liées à la musique et jusqu’alors obscures.

Ci-dessous une tablette retrouvée lors de fouilles au Moyen-Orient sur un site de la ville d’Ur et qui indique le nom des 9 cordes d’un instrument musical :

Tablette UET VII 126 donnant le nom des 9 cordes d’un instrument musical

La transposition à la fois du même texte en sumérien et en akkadien permit de plus facilement déchiffrer le sens de chaque signe avec par exemple pour la première ligne :

Texte en sumérienTexte en akkadien
Signe
PrononciationSA.diqud-mu-u[m
Senscorde de devantcorde de devant

Les premières lignes de cette tablette indique le nom de neuf cordes d’un instrument (ou d’un système de notation musical de manière plus générale) avec :

  • Corde de devant
  • Corde suivant
  • Troisième corde, corde fine
  • Quatrième, petite corde, corde créée par Ea
  • Cinquième corde
  • Quatrième corde de derrière
  • Troisième corde de derrière
  • Deuxième corde de derrière
  • Corde de derrière
  • Neuvième corde

L’ensemble permet donc de lister ces cordes avec un nom ou un rang qui s’applique dans un sens puis un autre afin de repérer rapidement la note (semblable plus tard au système de notation grec) : 1-2-3-4-5-4-3-2-1.

Plusieurs hypothèses sont avancées par les spécialistes en archéo-musicologie tels que Richard Dumbrill pour tenter de comprendre cette notation avec les tons et les intervalles entre chaque notes. Avec les récentes découvertes de tablettes après 1950, d’autres hymnes purent être reconstitués et joués comme des hymnes hourrites du Moyen-Orient. Bien que partiels – contrairement à l’épitaphe de Seikilos – ils nous offrent les prémisses de la musique et du chant qui remontent jusqu’en 1400 avant notre ère.

Sources :
- Richard J. Dumbrill - The Archaeomusicology of the Ancient Near East
- Harvard Dictionary of Music - Seikilos song
- Egert Pöhlmann et Martin West - Documents of Ancient Greek Music - Seikilos, Funeral Epitaph