Léon Bloy – Critique du sérail littéraire

Il va sans dire que nul, parmi les convives, ne gémissait amèrement sur la victime. La plupart, subventionnés par la Synagogue ou valets de cœur de la haute société juive, auraient estimé de fort mauvais goût de s’attendrir sur le juste châtiment d’un énergumène qui avait poussé l’insolence jusqu’à compisser le Veau d’or.


Hilaire Dupoignet est un héros flûtencul de la guerre du Tonkin, où il se signala comme infirmier. Les troupiers l’avaient surnommé Cinq contre un, à cause d’une habitude honteuse qu’il se hâta de révéler à ses contemporains dans un roman autobiographique d’une invraisemblable fétidité. Il l’écrivit à son retour, de cette même main qui avait rendu de si grands services et se couvrit ainsi d’une gloire nouvelle, que les qualités de son esprit n’avaient pas promise, mais que la vilenie de son âme lui fit obtenir d’emblée.
Ce masturbateur a pour spécialité d’attaquer les gens qui ne peuvent pas se défendre.


Lâche évident, chourineur probable, empoisonneur par principes, mais incendiaire frigide, il offre à l’observateur la lividité sébacée d’un homme sur le visage duquel on aurait pris l’habitude de pisser…

Jules Dutrou, le moins jeune de ces têtards, donne l’idée d’une vipère qui serait devenue renard, tout exprès pour succomber aux atteintes d’une inexorable alopécie. Ce croûte-levé s’est fait journaliste pour avoir des femmes, malgré sa pelade et sa calvitie. Il chroniquaille dans une feuille de boulevard renommée pour le néant exceptionnel de ses virtuoses, et distribue sur l’asphalte des sourires à ressort et de dangereuses pressions de sa main suspecte.
Sa voix est celle d’un châtré de naissance, qui n’a jamais eu besoin d’aucune chirurgie pour devenir chanteur et qui porte ses cisailles dans son cerveau.


Champignolle est un personnage des plus remarquables, en ce sens qu’il a l’air d’un parfait scélérat, au milieu d’une bande de coupe-jarrets que sa présence fait ressembler à d’inoffensifs bourgeois. À l’exception d’un acte courageux ou spirituel, on peut dire qu’il est absolument capable de tout. Son effronterie est sans exemple et sans précédent. Il est le seul homme de lettres ayant osé publier un livre plagié de tout le monde, à peu près sans exception, et fabriqué de coupures dérobées aux livres les plus connus, sans autre changement que l’indispensable soudure d’adaptation à son sujet.


La personne d’un chenapan de cet acabit ne serait pas tolérée, un quart de minute, dans une société de voleurs de grand chemin, où subsisterait quelque regain de virile solidarité. La société des lettres l’accepte, néanmoins, avec honneur, et se serre, volontiers, pour le mettre à l’aise. Il est offert en exemple à l’émulation des jeunes, qui convoitent sa dextérité et naviguent en cohue dans son sillage.

Sa force est, d’ailleurs, attestée par les précautions qu’on est obligé de prendre pour le recevoir. Non seulement, il est conseillé de cacher soigneusement tous les papiers de quelque importance, mais il faut encore surveiller les mains agiles du visiteur, aussi longtemps qu’il stationne dans un endroit où quelque chose est à prendre.

Chamfort recommandait aux ambitieux d’avaler un crapaud tous les matins, avant de sortir, pour se faire la bouche. Champignolle a trouvé mieux. Il a passé le matin de sa vie à solliciter les coups de pieds au derrière de tous les passants, dont la botte pouvait utilement retentir, et quand il ne les obtenait pas, il inventait le moyen de les carotter.


Enfin, Hippolyte Maubec, premier reporter de Paris, ainsi qu’il se qualifie lui-même. Il passe, du moins, pour l’un des meilleurs flairs et des plus tenaces à la piste, parmi tous ces chiens du journalisme dont l’héroïque emploi consiste à réaliser, dans la vie privée des contemporains illustres, les manœuvres décriées que la loi martiale rétribue d’une demi-douzaine de balles aux alentours présumés du cœur. Ce métier demande, avant tout, du front et de l’estomac. Quant à l’esprit, il en faut tout juste assez pour voir, à temps, monter la moutarde dans le nez d’autrui, ou pour accueillir les coups de bottes des exaspérés, avec le sourire d’un gladiateur de l’information.

Source : Léon Bloy - Le Désespéré