Par nature en effet, je pense, tout est prétexte à guerre chaque fois que l’esclave espère triompher de son maître. N’en est-il pas de même aussi chez nous ? Ou bien n’entretenons-nous pas, à un degré bien trop élevé, les conditions de notre extravagante situation ? En effet, ils ne sont ni deux ni notés d’infamie, ceux qui chez nous pourraient déclencher la sédition : ce sont de grandes armées souillées de meurtres, et de même origine que nos esclaves qui se sont glissés dans l’Empire romain pour notre malheur et fournissent des généraux tenus en tres haute estime chez eux-mêmes et chez nous « par notre lacheté ».
Ces chefs quand ils le voudront, auront, en plus des forces dont ils disposent, sois-en persuadé, nos esclaves comme soldats, des soldat parfaitement téméraires et courageux, avides de se gorger de liberté au prix des actes les plus impies. Il nous faut donc démolir le rempart élevé entre nous et abolir la cause extérieure du mal avant que cette fracture superficiellement cicatrisée se manifeste, sans attendre qu’on incrimine la malveillance de ces immigrés. A leur début, sans aucun doute, on peut vaincre les maux ; ils s’affermissent quand ils progressent. Le roi doit épurer l’armée, comme un tas de blé dont nous trions l’ivraie et toutes les graines adventices, fléaux de la semence noble et pure. Si, crois-tu, les conseils que je dispense ne sont plus faciles à suivre, n’as-tu pas présent à l’esprit de quels hommes tu es le Roi, toi à qui je m’adresse, et de quel peuple je t’entretiens ? Le Romains ne l’ont-ils pas vaincu, depuis même que leur renom s’est répandu parmi les hommes, et ne dominent-ils pas tous ceux qu’ils ont rencontrés, du bras comme de l’esprit ? et n’ont-ils pas parcouru la terre, comme Homère le dit des dieux « en contrôlant l’orgueil et l’équité des hommes ? ».
Ces Scythes, d’après Hérodote, et comme nous pouvons le constater, sont tous atteints d’un mal féminin. C’est d’eux, en effet, que proviennent partout les esclaves, eux qui n’ont même jamais possédé de terre ; à cause d’eux « la désolation scythe » est passée en proverbe, car ils fuient constamment leur pays. Ils ont été chassés de leurs établissements, d’après les historiens de l’Antiquité, d’abord par les Cimmériens, puis par d’autres peuplades, par les femmes un jour, par vos pères et par le Macédonien. Sous les coups des uns ils se sont avancés chez les peuples de l’intérieur de l’Empire, sous ceux des autres chez ceux de l’extérieur, et ils ne s’arrêtent pas, non, avant d’être livrés à ceux qui sont en face d’eux par ceux qui les poussent en avant. Mais chaque fois qu’ils tombent soudain sur des peuples qui ne s’y attendent pas, pendant un certain temps ils leur causent des troubles, comme autrefois chez les Assyriens, les Mèdes et les Palestiniens. De nos jours, ils sont venus chez nous, non par désir de nous combattre, mais en suppliants, puisqu’à nouveau ils émigraient. Comme il avaient eu affaire à trop de douceur, non pas de la part des armes romaines, mais de nos mœurs — il fallait peut-être qu’il en fût ainsi envers des suppliants —, cette race inculte nous donnait en échange ce qu’on pouvait en attendre : elle s’enhardissait et faisait preuve d’ingratitude envers le bienfait reçu. Les Scythes furent châtiés de ce méfait par ton père qui prenait les armes contre eux, et ils se retrouvaient à nouveau misérables et s’asseyaient à ses pieds en suppliants avec leurs femmes.
Mais ton père, vainqueur à la guerre était vaincu, et copieusement, par la pitié : il les relevait de leur position de suppliants, il en faisait des alliés, il leur accordait le droit de cité, il les faisait participer aux honneurs et distribua une partie de la terre romaine à ces gens souillés de meurtres, ce héros qui a usé de sa grandeur d’âme et de la noblesse de sa nature en faveur de la douceur.
Mais la barbarie ne comprend pas la vertu. Depuis ce moment-là en effet, jusqu’à aujourd’hui, il se rient de nous, car il savent ce qu’ils ont mérité de notre part et ce dont on les a jugés dignes. Cette nouvelle a désormais ouvert la voie chez nous à leurs voisins. Des archers étrangers à cheval se répandent chez les gens d’un abord facile ; ils quémandent leur bienveillance et allèguent comme précédent les misérables dont on vient de parler. Il semble que le mal progresse vers ce que le vulgaire appelle « la persuasion contrainte ». Il ne faut assurément pas, à cause de la philosophie, opérer des distinctions au sujet des mots, alors que celle-ci cherche une aide pour exprimer sa pensée, même si elle se procure là une aide à ras de terre, quoique nette et bien adaptée au sujet.
Source : Synésios de Cyrène - Discours sur la royauté, 20-22