Étéocle – Rationalité contre émotivité

Peu avant la Guerre de Troie, « les Sept contre Thèbes » d’Eschyle nous place dans une ville assiégée aux prises d’un conflit de succession entre deux frères, Étéocle et Polynice, tous les deux fils d’Œdipe.
L’histoire des Labdacides continue avec cette expédition mythique des Sept chefs argiens menée par Polynice pour reprendre le trône du royaume de Thèbes, culminant avec la défense des sept portes de la ville. Étéocle exhorte alors le peuple à défendre sa cité : son discours de réponse oppose aux lamentations du chœur sa détermination et sa rationalité.

Je vous demande, insupportables créatures,
si c’est là le mieux, le salut de la ville,
de quoi encourager un peuple qu’on assiège,
que vous prosterner devant les statues des dieux
avec ces clameurs et ces cris haïs des sages.
Que ni dans les malheurs ni dans la chère prospérité
je n’habite auprès de l’engeance féminine !
triomphante, elle a l’insolence infréquentable ;
craintive, elle est la plaie de foyers et des villes.
Maintenant par vos courses stupides,
vous inspirez aux citoyens une lâche couardise ;
les assiégeants sont encouragés d’autant mieux
que nous nous détruisons nous-mêmes au-dedans.
Voilà ce qu’on obtient à vivre avec des femmes.
Eh bien, si quelqu’un n’écoute pas mes ordres,
qu’il soit homme ou femme ou les deux ensemble,
un arrêt de mort sera voté contre lui,
il subira son sort, lapidé par le peuple.
Dehors l’homme dispose et que le femme se taise.
Rentre chez toi, tu n’y seras plus nocive.
M’entends-tu ou non ? parlé-je à une sourde ?

Par la suite, un messager rapporte à Étéocle l’adversaire qui se dirige vers la porte Proïtide : ce sera Tydée, fils d’Œnée, roi de Calydon.
Ce guerrier « furieux, assoiffé de combat » impressionne par ses attributs : aigrettes et crinière sur son casque, cloches de cuivre sous son bouclier, lui-même richement décoré « d’un ciel ouvragé resplendissant d’astres ». Mais Étéocle ne se laisse pas, lui, impressionner par tout ce paraître, nous rappelant que les symboles ne blessent pas et ne décideront pas du sort de la bataille. D’un ton calme et avec assurance, il désigne comme défenseur Mélanippe.

L’apparat d’un guerrier ne m’effraie pas,
les emblèmes ne causent pas de blessures,
plumets et grelots ne mordent pas sans la lance.
La nuit que tu dis, sur son bouclier,
éclatante d’astres célestes,
pourrait présager la folie de quelqu’un :
si la nuit des mourants tombait sur ses yeux,
l’orgueilleux blason qu’il arbore
prendrait pleinement son juste sens ;
il se prédirait à soi-même cet excès.
Moi, à Tydée, pour défendre la porte
j’opposerai le vaillant fils d’Astaque,
bien né, fidèle au règne de l’Honneur
et contempteur des discours insolents.
Inapte aux infamies, il ne sait être lâche.
Il a pour souche un de ces hommes semés
qu’Arès épargna : il est bien de ce sol,
Ménalippe. Arès tranchera donc par les dés
mais c’est le droit du sang qui l’envoie
détourner de sa mère la lance ennemie.

Source : Eschyle - Les Sept contre Thèbes