Alexandre, poursuivant en Orient le cours de ses conquêtes, s’empara de l’antique ville de Sidon, qui, sous l’autorité des souverains de la Perse, avait un roi particulier. Ce roi fut vaincu et chassé. Alors Alexandre offrit la couronne de Sidon à deux jeunes gens du pays, qui la méritaient par leurs vertus, mais à qui les anciennes lois du pays ne permettaient pas de l’accepter. « Ces lois, dirent-ils, ne permettent d’élever sur le trône qu’un homme descendu de l’ancienne famille de nos souverains. » Alexandre, loin de s’offenser de ce noble refus, leur demanda quel était, parmi les descendants des anciens rois, le plus digne de la couronne. Ils lui désignèrent Abdalonyme.
Abdalonyme, malgré son illustre naissance, était réduit à une extrême pauvreté. Il gagnait sa vie par le travail de ses mains en cultivant lui-même un petit jardin dans les faubourgs de la ville. Sagement résigné à son sort, il travaillait avec ardeur, pratiquait toutes les vertus et se trouvait heureux.
On vint le trouver dans son petit jardin : on lui apportait de la part d’Alexandre le diadème et les habits royaux, et une foule immense remplissait les airs d’acclamations en son honneur. D’abord Abdalonyme croyait rêver ; ensuite il se figura que, par une odieuse raillerie, on voulait insulter à sa misère. Enfin il comprit que ces démonstrations étaient sérieuses : il accepta sa nouvelle destinée, sans empressement, et sans trouble, et reçut des mains des envoyés d’Alexandre le sceptre et la couronne d’un air aussi tranquille que s’il eût repris sa bêche.
Il se présenta devant Alexandre d’un air noble et modeste. Alexandre lui dit : « Comment vous, né du sang royal, avez-vous pu supporter la misère ? — Plaise au ciel, répondit Abdalonyme, que je supporte aussi bien la prospérité ! Le travail de mes bras jusqu’à ce jour a suffi à mes désirs. Je n’avais rien et rien ne me manquait. »
Alexandre, admirant ces sentiments élevés, le combla de présents. Abdalonyme, persévérant dans ses habitudes, ne cessa de s’occuper de ses devoirs, et se montra aussi laborieux comme roi qu’il l’avait été comme jardinier.
Sources : - Diodore de Sicile - Histoire universelle, livre XVII, 47 - Th. H. Barrau - Livre de morale pratique ou choix de préceptes et de beaux exemples