Knut, roi de Danemark, était arrivé au plus haut degré de puissance : il avait conquis toute l’Angleterre ; la Suède et la Norvège lui rendaient hommage. Tous ses ennemis étaient vaincus, découragés, ou gagnés à sa cause. On lui avait donné le surnom de Grand.
Un soir, il était assis sur les bords de la mer, pensif, promenant au loin ses regards, méditant peut-être sur la vanité des grandeurs et de la gloire. Les courtisans qui l’entouraient cherchaient à attirer son attention en renchérissant sur leurs flatteries ordinaires. D’abord, ils le mirent au-dessus de tous les rois qui avaient jamais existé ; et le silence du maître paraissant encourager l’exagération de leurs panégyriques, ils le mirent au-dessus de l’humanité. « Knut, disaient-ils, n’est pas un homme, c’est un dieu. »
Le roi les écoutait en silence. Cependant le jour baissait, un vent froid et violent s’était élevé et tourmentait la mer ; les vagues s’amoncelaient ; elles arrivaient déjà de loin, rapides et mugissantes. Les courtisans regardaient avec inquiétude. Mais le roi restait assis ; il paraissait si satisfait de se voir égaler par eux à la Divinité, que personne n’eut osé troubler son auguste ravissement. Et d’ailleurs, après s’être écrié avec enthousiasme : « Oui, Knut est un dieu! » comment lui dire, en un froid et vulgaire langage : « Sire, prenez garde, voici la mer qui mouille vos pieds ? »
Cette scène dura quelques minutes. Knut prenait plaisir à voir ses flatteurs pâlir de crainte : enfin, un flot vint se briser sur le siège du roi et lancer son écume sur les courtisans, qui reculèrent saisis d’épouvante. Knut, se tournant vers eux, leur dit : « Que faites-vous ? Quelle vaine frayeur s’empare de vos esprits ? N’êtes-vous pas en la compagnie d’un dieu ? »
Ensuite, étendant la main sur la mer, il s’écria solennellement : « Vagues, je vous défends d’avancer plus loin sur cette terre qui m’appartient. Éloignez vous de mon royaume. Obéissez. » À peine avait-il cessé de parler, qu’une seconde lame, plus furieuse que la première, se rua sur lui et le couvrit presque tout entier. Alors il se leva avec calme, et abandonnant son siège à la mer, il dit à ses courtisans : « Oserez-vous encore comparer un misérable mortel à celui qui seul peut dire à l’Océan : « Tu iras jusqu’ici, et pas plus loin ? »
Source : Henri de Huntingdon - Historia Anglorum : The history of the English people