Une Lacédémonienne, présente à un combat dans lequel elle avait deux fils, voyant l’un d’eux tomber mort, ordonna à son frère de prendre aussitôt sa place.
Ce beau trait est connu, et célébré avec justice.
La France peut maintenant lui en opposer un autre encore plus beau.
Un grenadier du cinquième bataillon de l’Ain, en faction sur le bord du Rhin, est frappé à la tête d’un boulet qui lui fait sauter la cervelle. Alexis Émonet, c’est le nom de cette généreuse victime, avait un frère, simple volontaire dans le même régiment. Claude Émonet se trouve de garde au même poste, et son tour de faction succède à celui de son frère. Claude avec un stoïcisme rare, prend son fusil, et dit à son caporal : « Je vais achever, moi , la faction de mon frère. »
L’officier de poste, et ses autres camarades s’opposent à cette résolution, et veulent le soustraire à l’affreuse image qu’il a sous les yeux. Claude insiste, et veut qu’on le pose factionnaire à la même place, puisque c’est celle de son poste. Il a le courage de remplir son devoir, à l’endroit même tout couvert du sang fraternel, et de commander la nature.
Quitte envers la patrie, on le vit s’acquitter ensuite des devoirs de son cœur. Claude n’était point un guerrier farouche, que le métier des armes a endurci au point d’être insensible aux plus douces affections. Relevé de sa consigne, après l’heure prescrite, il va se précipiter sur le corps de son frère ; il ne l’arrose point de larmes ; mais sa piété fraternelle tournera au profit de cette même patrie, la cause innocente de la perte qu’il vient de faire : « Oui ! mon cher Alexis ! Je le jure sur tes restes sanglants et inanimés ! Oui ? je vengerai ta mort sur l’ennemi de notre république. Oui ! tu seras vengé par moi, ou je périrai avec une gloire aussi pure que la tienne. »
Tant il est vrai que toutes les vertus se donnent la main, et ne vont jamais l’une sans l’autre. L’amour de la patrie, et la tendresse fraternelle, en fournissent ici un exemple touchant, à jamais célèbre dans les fastes du peuple de France.
Source : Jacques Grasset de Saint-Sauveur - Les fastes du peuple français (1796)