Philosophie de Socrate d’Athènes

Socrate ne tint point école et n’écrivit point. Nous ne savons de sa doctrine que ce que ses disciples nous ont transmis. Il disait que si Dieu a dérobé sa nature à notre entendement, il a manifesté son existence, sa sagesse, sa puissance et sa bonté dans ses ouvrages ; il est l’auteur du monde, et le monde est la complexion de tout ce qu’il y a de bon et de beau.

Si nous sentions toute l’harmonie qui règne dans l’univers, nous ne pourrions jamais regarder le hasard comme la cause de tant d’effets enchaînés partout, selon les lois de la sagesse la plus surprenante, et pour la plus grande utilité possible. Si une intelligence suprême n’a pas concouru à la disposition, à la propagation et à la conservation générale des êtres, et n’y veille pas sans cesse, comment arrive-t-il qu’aucun désordre ne s’introduit dans une machine aussi composée, aussi vaste ? Dieu préside à tout ; il voit tout en un instant : notre pensée qui s’élance d’un vol instantané de la terre aux cieux, notre œil qui n’a qu’à s’ouvrir pour apercevoir les corps placés à la plus grande distance, ne sont que de faibles images de la célérité de son entendement. D’un seul acte il est présent à tout. Les lois ne sont point des hommes, mais de Dieu ; c’est lui proprement qui en condamne les infracteurs par la voix des juges qui ne sont que ses organes.

Ce philosophe remplissait l’intervalle de l’homme à Dieu, d’intelligences moyennes qu’il regardait comme les génies tutélaires des nations ; il permettait qu’on les honorât ; il les regardait comme les auteurs de la divination ; il croyait l’âme préexistante au corps, et douée de la connaissance des idées éternelles : cette connaissance qui s’assoupissait en elle par son union avec le corps, se réveillait avec le temps, et l’usage de la raison et des sens.

Apprendre, c’était se ressouvenir ; mourir, c’était retourner à son premier état de félicité pour les bons, de châtiment pour les méchants.Il disait qu’il n’y a qu’un bien, c’est la science ; qu’un mal, c’est l’ignorance.

Les richesses et l’orgueil de la naissance sont les sources principales des maux. La sagesse est la santé de l’âme. Celui qui connaît le bien et qui fait le mal, est un insensé. Rien n’est plus utile et plus doux que la pratique de la vertu. L’homme sage ne croira point savoir ce qu’il ignore. La justice et le bonheur sont une même chose. Celui qui distingua le premier l’utile du juste, fut un homme détestable. La sagesse est la beauté de l’âme ; le vice en est la laideur. La beauté du corps annonce la beauté de l’âme. Il en est d’une belle vie comme d’un beau tableau ; il faut que toutes les parties en soient belles.

La vie heureuse et tranquille est pour celui qui peut s’examiner sans honte ; rien ne le trouble, parce qu’il ne se reproche aucun crime. Que l’homme s’étudie lui-même, et qu’il se connaisse : celui qui se connaît échappera à bien des maux qui attendent celui qui s’ignore ; il concevra d’abord qu’il ne sait rien, et il cherchera à s’instruire. Avoir bien commencé, ce n’est pas n’avoir rien fait, mais c’est avoir fait peu de chose. Il n’y a qu’une sagesse. La vertu est une.

La meilleure manière d’honorer les dieux, c’est de faire ce qu’ils ordonnent. Il faut demander aux dieux en général ce qui nous est bon : spécifier quelque chose dans sa prière, c’est prétendre à une connaissance qui leur est réservée. Il faut adorer les dieux de son pays, et régler son offrande sur ses facultés. Les dieux regardent plus à la pureté de nos cœurs, qu’à la richesse de nos sacrifices.

Les lois sont du ciel. Ce qui est selon la loi, est juste sur la terre et légitimé dans le ciel. Ce qui prouve l’origine céleste des lois, telles que d’adorer les dieux, d’honorer ses parents, d’aimer son bienfaiteur, c’est que le châtiment est nécessairement attaché à leur infraction : cette liaison nécessaire de la loi, avec la peine de l’infraction, ne peut être de l’homme. Il faut avoir pour un père trop sévère, la même obéissance qu’on a pour une loi trop dure. L’atrocité de l’ingratitude est proportionnée à l’importance du bienfait. Nous devons à nos parents le plus important des biens. L’enfant ingrat n’obtiendra ni faveur du ciel ni l’estime des hommes. Quel retour attendrai-je, moi étranger, de celui qui manque aux personnes à qui il doit le plus ?

Celui qui vend aux autres sa sagesse pour de l’argent, se prostitue comme celui qui vend sa beauté. Les richesses sont entre les mains de l’homme sans la raison, comme sous lui un cheval fougueux sans frein. Les richesses de l’avare ressemblent à la lumière du soleil qui ne récrée personne après son coucher. J’appelle avare celui qui amasse des richesses par des moyens vils, et qui ne veut point d’indigents pour amis. La richesse du prodigue ne sert qu’aux adulateurs et aux prostitués.

Il n’y a point de fonds qui rende autant qu’un ami sincère et vertueux. Il n’y a point d’amitié vraie entre un méchant et un méchant, ni entre un méchant et un bon. On obtiendra l’amitié d’un homme en cultivant en soi les qualités qu’il estime en lui. Il n’y a point de vertu qui ne puisse se perfectionner et s’accroître par la réflexion et l’habitude. Ce n’est ni la richesse, ni la naissance, ni les dignités, ni les titres, qui font la bonté de l’homme ; elle est dans ses mains. L’incendie s’accroît par le vent, et l’amour par le commerce.

L’arrogance consiste à tout dire, et à ne vouloir rien entendre. Il faut se familiariser avec la peine, afin de la recevoir, quand elle viendra, comme si on l’avait attendue. Il ne faut point redouter la mort, c’est un assoupissement ou un voyage. S’il ne reste rien de nous après la mort, c’est plutôt encore un avantage qu’un inconvénient. Il vaut mieux mourir honorablement que vivre déshonoré. Il faut se soustraire à l’incontinence par la fuite. Plus on est sobre, plus on approche de la condition des dieux, qui n’ont besoin de rien.

Il ne faut pas négliger la santé du corps, celle de l’âme en dépend trop. La tranquillité est le plus grand des biens. Rien de trop, c’est l’éloge d’un jeune homme. Les hommes vivent pour manger, les bons mangent pour vivre. Être sage dans la haute prospérité, c’est savoir marcher sur la glace. Le moyen le plus sûr d’être considéré, c’est de ne pas affecter de se montrer aussi bon que l’on est. Si vous êtes un homme de bien, on aura autant de confiance en votre parole qu’au serment. Tournez le dos au calomniateur et au médisant ; c’est quelque perversité qui les fait agir ou parler. Celui qui saura gouverner sa maison, tirera parti de tout, même de ses ennemis.

Méfiez-vous de l’indolence, de la paresse, de la négligence ; évitez le luxe, regardez l’agriculture comme la ressource la plus importante. Il est des occupations sordides auxquelles il faut se refuser ; elles avilissent l’âme. Il ne faut pas laisser ignorer à sa femme ce qu’il lui importe de savoir, pour votre bonheur et pour le sien. Tout doit être commun entre les époux. L’homme veillera aux choses du dehors, la femme à celles du dedans. Ce n’est pas sans raison que la nature a attaché plus fortement les mères aux enfants, que les pères. Les vrais souverains, ce ne sont point ceux qui ont le sceptre en main, soit qu’ils le tiennent ou de la naissance, ou du hasard, ou de la violence, ou du consentement des peuples ; mais ceux qui savent commander.

Le monarque est celui qui commande à ceux qui se sont soumis librement à son obéissance ; le tyran, celui qui contraint d’obéir : l’un fait exécuter la loi, l’autre sa volonté. Le bon citoyen contribuera, autant qu’il est en lui, à rendre la république florissante pendant la paix, et victorieuse pendant la guerre ; il invitera le peuple à la concorde, s’il se soulève : député chez un ennemi, il tentera toutes les voies honnêtes de conciliation. La loi n’a point été faite pour les bons. La ville la mieux gardée est celle qui renferme le plus d’honnêtes gens ; la mieux policée, celle où les magistrats agissent de concert ; celle qu’il faut préférer à toutes, est celle où la vertu a des récompenses assurées. Habitez celle où vous n’obéirez qu’aux lois.

Ce serait ici le lieu de parler des accusations qu’on intenta contre lui, son apologie et de sa mort ; mais ces choses sont écrites en tant d’endroits. Qui est-ce qui ignore qu’il fut le martyr de l’unité de Dieu ?

Source : Pierre-Nicolas Buret de Longchamp - Les fastes universels, ou : Tableaux historiques, chronologiques et géographiques, Volume 2, pages 165-167