Les femmes sont universellement persuadées que tout leur est dû. Cette croyance est dans leur nature comme le triangle est inscrit dans la circonférence qu’il détermine. Belle ou laide, esclave ou impératrice, chacune ayant le droit de se supposer la FEMME, nulle n’échappe à cet instinct merveilleux de conservation du sceptre dont la Titulaire est toujours attendue par le genre humain.
L’affreux cuistre Schopenhauer, qui passa sa vie à observer l’horizon du fond d’un puits, était certes bien incapable de soupçonner l’origine surnaturelle du sentiment dominateur qui précipite les hommes les plus forts sous les pieds des femmes, et la chiennerie contemporaine a glorifié sans hésitation ce blasphémateur de l’Amour.
De l’Amour, assurément, car la femme ne peut pas être ni se croire autre chose que l’Amour lui-même, et le Paradis terrestre, cherché depuis tant de siècles, par les dons Juans de tous les niveaux, est sa prodigieuse Image.
Il n’y a donc pour la femme, créature temporairement, provisoirement inférieure, que deux aspects, deux modalités essentielles dont il est indispensable que l’Infini s’accommode : la Béatitude ou la Volupté. Entre les deux, il n’y a que l’Honnête Femme, c’est-à-dire la femelle du Bourgeois, réprouvé absolu qu’aucun holocauste ne rédime.
Une sainte peut tomber dans la boue et une prostituée monter dans la lumière, mais jamais ni l’une ni l’autre ne pourra devenir une honnête femme, — parce que l’effrayante vache aride qu’on appelle une honnête femme, et qui refusa naguère l’hospitalité de Bethléem à l’Enfant Dieu, est dans une impuissance éternelle de s’évader de son néant par la chute ou par l’ascension.
Mais toutes ont un point commun, c’est la préconception assurée de leur dignité de dispensatrices de la Joie. Causa nostræ lætitiæ [Cause de notre joie] ! Janua cœli [Porte du Ciel] ! Dieu seul peut savoir de quelle façon, parfois, ces formes sacrées s’amalgament à la méditation des plus pures et ce que leur mystérieuse physiologie leur suggère !…
Toutes — qu’elles le sachent ou qu’elles l’ignorent, — sont persuadées que leur corps est le Paradis. Plantaverat autem Dominus Deus paradisum voluptatis a principio : in quo posuit hominem quem formaverat [Puis l’Éternel Dieu planta un jardin en Eden, du côté de l’orient, et il y mit l’homme qu’il avait formé – citation tirée de la Genèse]. Par conséquent, nulle prière, nulle pénitence, nul martyre n’ont une suffisante efficacité d’impétration pour obtenir cet inestimable joyau que le poids en diamants des nébuleuses ne pourrait payer.
Jugez de ce qu’elles donnent quand elles se donnent et mesurez leur sacrilège quand elles se vendent !
Or voici la conclusion tirée des Prophètes. La femme a RAISON de croire tout cela et de prétendre tout cela. Elle a infiniment raison, puisque son corps, — cette partie de son corps ! — fut le tabernacle du Dieu vivant et que nul, pas même un archange, ne peut assigner des bornes à la solidarité de ce confondant mystère !
Source : Léon Bloy - La femme pauvre