Nukishio Kizô – Homme ordinaire et homme vertueux

De nos jour, le manque d’hommes vertueux à travers le monde se fait cruellement ressentir. Il suffit par exemple de regarder ce qu’il se passe en Chine, pays déchiré par des conflits et des guerres sans fin. Mais ce constat est tout aussi valables pour de nombreux autres pays et je suis affligé par les souffrances de la condition humaine. Nous sombrons dans une situation alarmante, alors que tous les maux prospèrent aujourd’hui en raison de la dégradation des valeurs morales, des innombrables difficultés de la vie quotidienne, du contrôle idéologique, des problèmes économiques et du péril national. Je ne sais pas comment les gens réagissent à cette situation, mais il est évident que si des peuples sont amenés à disparaître, c’est plutôt les populations qui souffrent de ces maux qui sont les premières concernées.

Je suis persuadé que c’est le manque d’hommes vertueux et fraternels prêts à secourir leur prochain qui nous a conduits à cette situation catastrophique.

Cela semblerait sans doute étrange si je disais qu’il n’y a que peu d’ « hommes vertueux » aujourd’hui au Japon, alors que la population de ce dernier a tellement augmenté qu’il n’y a plus assez de place pour y vivre, comme en témoigne l’émigration vers l’Amérique du Sud ou d’autres destinations. Malheureusement, c’est pourtant bien la vérité.

Mais si ces humains qui se sont multipliés ainsi ne sont pas véritablement des hommes, que sont-ils donc ? C’est à cette question que nous devons absolument tenter de répondre, sans quoi notre société ne sera jamais libérée de ces maux.

Ce problème fondamental ne concerne pas seulement le Japon, mais également toutes les nations où les hommes vertueux viennent à manquer. Si certains en ont pourtant l’apparence, ce ne sont en définitive que des hommes ordinaires. Ils sont aptes à vivre dans le monde qui leur est destiné, mais certainement pas dans celui de l’humanité véritable. Chers lecteurs, ne vous moquez pas de ces paroles, et tentez je vous prie de reconnaître la « véritable nature de ce monstre que je nomme ningen, l’homme médiocre ».

On emploie souvent ces expressions dans la vie quotidienne : « cet homme n’est pas fiable » ou encore « c’est un homme de confiance ». Ce sont des expressions banales que vous avez sans doute déjà entendues ou prononcées vous-même. Mai n’avons-nous jamais réfléchi suffisamment au sens véritable de ces paroles ? Il est fort possible que derrière ces expressions se cache en réalité notre véritable intuition au sujet des différence qui existent entre ces deux types d’hommes.

On utilise généralement l’expression « homme ordinaire », (ningen) plutôt péjorativement et celle d’ « homme vertueux », (hito) pour qualifier ceux qui sont fiables et charitables. Nous pouvons donc conclure sans trop nous tromper que les hommes vertueux (hito) sont liés à la confiance, à la charité et à l’amour, et que les hommes ordinaires (ningen) sont associés au manque de sérieux et d’humanité.

Il nous faut donc expliquer à présent plus concrètement les différences qui existent entre les hommes ordinaires (ningen) et les hommes vertueux (hito). Comme nous avons déjà examiné la nature des hommes vertueux, essayons maintenant de mettre en lumière celle des hommes ordinaires.

Observons de près les deux caractères 人間. Ils se composent de deux idéogrammes, le premier 人 (nin ou hito) et le second 間 (gen ou aida). Or, « aida » signifie « écart » en japonais. Ces deux caractères (ningen, littéralement « homme qui se met à l’écart ») illustrent selon moi la vraie nature égoïste et peu coopérative des hommes ordinaires. Obsédés par la satisfaction de leurs propres désirs, ils sont dénués du moindre altruisme, et ne connaissent pas l’amour, la prévenance, la morale, ou le bon sens.

S’il fallait intégrer les hommes ordinaires aux hommes de vertu, il faudrait symboliser leur différence en inventant un autre idéogramme.

Le kanji 人 représente un homme vertueux, prêt à venir en aide à son prochain au nom de la miséricorde et de l’amour.

丿㇏, ce kanji que j’écris ainsi avec un écart entre les deux traits, représente un homme ordinaire et son tempérament égoïste. Bien qu’il soit assurément un homme, il n’est en rien vertueux. Que se passerait-il donc si l’on tentait de composer ce kanji en utilisant les deux barres habituelles ? L’idéogramme officiel représentant l’homme vertueux est stable, car ses deux traits se supportent l’un et l’autre. En revanche, le kanji que je propose incarnant l’homme ordinaire s’effondrerait tout de suite en raison de l’écart entre les deux traits formant sa base. Ainsi, comme l’exprime ce caractère, on ne peut pas compter sur l’homme ordinaire en raison de son manque de stabilité fondamental.

À nouveau, ces derniers ne connaissent pas l’entraide en raison de cet écart permanent entre eux.

Seul, on ne peut jamais rien achever. Toutes les choses que l’on trouve dans nos sociétés sont le fruit d’actes de coopération, charitables et fraternels. Les hommes vertueux l’ont bien compris et consacrent leurs efforts à ces réalisations collectives.

Supposons que deux individus soient amenés à réaliser une tâche ensemble. Si l’un d’entre eux, sournois et ambitieux, ne coopère que superficiellement alors que l’autre fait de son mieux, il est évident que leur travail ne donnera pas de bons résultats. Ces deux personnes en désaccord ne parviendront pas à accomplir leur tâche et finiront par se détester toute leur vie. Nous en avons l’exemple tous les jours dans notre vie quotidienne.

Ceux que j’appelle les hommes ordinaires agissent de cette façon odieuse. Leur véritable nature nous apparaît donc distinctement, ce sont des monstres haïssables.