Les biens de ce monde sont-ils précieux par leur nature, ou par l’opinion que nous en avons ? Lequel de tous ces biens est le plus précieux ? Est-ce une masse d’or, un amas immense d’argent ? Mais l’or et l’argent n’ont de mérite qu’autant qu’on s’en sert : l’avarice qui les amasse est un vice odieux ; la libéralité qui les répand est une source de gloire. Mais en faisant usage de cet or et de cet argent, vous cessez de le posséder ; il n’a donc aucun prix tant qu’il est à vous, puisqu’il n’en a que quand vous le distribuez aux autres. Qu’un seul homme rassemble tout ce qu’il y a d’or et d’argent sur la terre, son abondance appauvrira le reste des mortels. Qu’est-ce donc qu’un pareil bien ? La voix d’un seul homme se fait entendre tout entière à une multitude, chacun de ceux qui la composent l’entend également ; au contraire, l’argent ne peut, qu’en se partageant, être possédé par plusieurs ; or en le partageant, celui qui le possédait s’en dépouille lui-même. Que les richesses les plus abondantes sont donc peu de chose, puisque plusieurs ne peuvent ensemble les posséder tout entières, et qu’un seul ne les peut posséder sans réduire tous les autres à la misère ! Serait-ce l’éclat des pierres précieuses qui attirerait vos regards ? Mais tout leur éclat n’en peut communiquer aucun à ceux qui les possèdent. Est-il possible que les hommes puissent admirer de pareilles choses !
La nature se contente de peu ; si vous la surchargez par des excès, vous éprouverez une satiété toujours désagréable, souvent pernicieuse. Vous penserez peut-être qu’il est glorieux de briller par la variété et la magnificence des habillements ; mais que vous en revient-il ? S’ils flattent ma vue, je me contenterai d’en admirer la matière, ou de louer l’art de l’ouvrier. Serait-il plus glorieux de se voir suivi d’une foule nombreuse de valets ? Mais s’ils sont pour la plupart des gens vicieux, votre maison sera un composé odieux à tout le monde, et dangereux pour vous-même : s’ils sont gens de bien, leur probité n’est point la vôtre. D’où je conclus que toutes ces choses que vous comptez au nombre de vos biens, ne vous appartiennent point véritablement, et ne font point votre bonheur ; et si elles n’ont rien qui mérite votre estime et vos désirs, pourquoi avez-vous tant de joie quand vous les possédez, et tant de douleur quand vous les perdez ? Si elles ne tiennent leur beauté que de la nature, elles plairaient quand elles ne seraient pas au nombre de vos possessions ; car ce n’est pas parce que vous les possédez qu’elles sont précieuses ; mais c’est parce qu’elles vous ont paru précieuses, que vous avez jugé à propos de les compter parmi vos richesses.
Amitié ! amour ! principes de toute union, c’est vous qui faites la stabilité de l’univers. Si, chaque jour, le soleil sur son char nous ramène la lumière, s’il prête à la lune sa splendeur pendant la nuit, si les flots impétueux de la mer trouvent des bornes que leur fureur est forcée de respecter, c’est l’amour tout-puissant qui a établi ce bel ordre. Il règne sur la terre, dans la mer et dans les cieux.
Source : Boèce – Consolation de Philosophie, Livre II