J’attends encore l’homme qui, se moquant du culte des héros, possède en sa personne ce qu’on pourrait proprement appeler des attributs héroïques. Le cynisme facile va de pair invariablement avec des muscles mous ou l’obésité, tandis que le culte du héros et un nihilisme puissant s’accompagnent toujours d’un corps puissant et de muscles bien trempés. Car le culte du héros est, finalement, le principe fondamental du corps, et, au bout du compte, participe au contraste entre la robustesse du corps et cette destruction qu’est la mort.
En l’espèce, je chérissais un élan romantique vers la mort, tout en exigeant en même temps comme véhicule un corps strictement classique ; un sentiment particulier de la destinée me faisait croire que la raison pour laquelle mon impulsion romantique vers la mort demeurait inaccomplie dans la réalité, c’était le fait immensément simple que me manquaient les nécessaires qualifications physiques. Une charpente puissante et tragique, une musculature sculpturale étaient indispensables à une mort noblement romantique. Toute confrontation entre une chair faible et flasque et la mort me semblent inadéquate jusqu’à l’absurde. A dix-huit ans, impatient d’un trépas prochain, je m’y sentais inapte. Me manquaient, en bref, les muscles qui convenaient à une mort tragique.
Empoigner la souffrance, c’est le rôle constant du courage physique ; et le courage physique est, pour ainsi dire, la source de cet appétit de compréhension et d’appréciation de la mort qui, plus que toute autre chose, est la condition primordiale pour rendre possible une connaissance véritable de la mort.
Le philosophe en chambre aura beau ruminer l’idée de la mort, aussi longtemps qu’il restera à l’écart du courage physique qui constitue un préalable à la connaissance, il demeurera incapable de commencer même à rien y comprendre. Qu’on entende bien que je parle de courage « physique » ; la « conscience de l’intellectuel » et le « courage intellectuel » ici ne sont pas en cause.
Source : Mishima - Le Soleil et l'Acier