Artémis et le Désespoir phocidien

L’action des Phocéennes, quoiqu’elle n’ait été racontée par aucun historien de nom, n’est inférieure à aucun des faits mémorables dont les femmes puissent se glorifier. Les grands sacrifices que les Phocéens font encore aujourd’hui auprès d’Hyampolis, et leurs anciens décrets, en sont des témoignages certains. J’ai rapporté le fait avec toutes ses circonstances dans la Vie de Daïphantus. Voici ce qu’il y eut de personnel aux Phocéennes.

Les Thessaliens et les habitants de la Phocide se faisaient une guerre implacable. Ceux-ci avaient fait mourir dans un seul jour, dans toutes les villes de la Phocide, les magistrats et les tyrans que les Thessaliens y avaient établis, et les premiers avaient fait mettre en croix deux cent cinquante otages des Phocéens. En même temps ils étaient entrés avec toutes leurs troupes dans la Phocide, par le pays des Locriens, après avoir arrêté par un décret qu’ils massacreraient tous ceux qui seraient en âge de porter les armes, et qu’ils réduiraient en esclavage les femmes et les enfants.

Daïphantus, fils de Bathyllius, qui, avec deux autres magistrats, gouvernait alors la Phocide, persuada aux Phocéens d’aller au-devant des ennemis, et de les combattre. Mais il leur proposa de rassembler auparavant en un même lieu les femmes et les enfants de toute la Phocide, de dresser autour d’eux un immense bûcher, et d’y placer des gardes — avec ordre, s’ils apprenaient que leurs concitoyens eussent été vaincus, de mettre aussitôt le feu au bûcher, et de les brûler tous.

Toute l’assemblée applaudit à cette proposition. Mais un citoyen s’étant levé, observa qu’il était juste de communiquer d’abord aux femmes ce dessein ; que si elles n’y consentaient pas, il fallait l’abandonner, et ne pas les y contraindre par la force. Les femmes en ayant été instruites, s’assemblent de leur côté, approuvent la résolution prise par leurs concitoyens, et vont sur-le-champ couronner Daïphantus, pour avoir ouvert l’avis le plus glorieux à sa patrie. Les enfants, dit-on, donnèrent aussi leur consentement dans une assemblée qu’ils tinrent entre eux. Les Phocéens alors livrèrent la bataille auprès de Cléone d’Hyampolis, et remportèrent la victoire. Les Grecs appelèrent ce décret des Phocéens le Désespoir ; et ceux-ci, pour perpétuer le souvenir de cette victoire, ont toujours célébré depuis, auprès d’Hyampolis, avec la plus grande solennité, des fêtes publiques en l’honneur de Diane. Ils les nomment Elaphébolies.

Les Thessaliens étaient en effet entrés dans la Phocide, eux et leurs alliés, avec toutes leurs forces, quelques années avant l’expédition du roi de Perse, mais les Phocidiens les avaient battus et fort malmenés car les Thessaliens les tenant renfermés sur le Parnasse avec le devin Tellias d’Élée, celui-ci imagina ce stratagème : il prit six cents des plus braves de l’armée, les blanchit avec du plâtre, eux et leurs boucliers, et les envoya la nuit contre les Thessaliens avec ordre de tuer tous ceux qui ne seraient pas blanchis comme eux. Les sentinelles les aperçurent les premières; et, s’imaginant que c’était quelque prodige, elles en furent épouvantées; l’armée le fut tellement aussi, que les Phocidiens leur tuèrent quatre mille hommes, dont ils enlevèrent les boucliers. Ils en offrirent la moitié à Abes, et l’autre moitié à Delphes; et de la dixième partie de l’argent qu’ils prirent après ce combat ils firent faire les grandes statues qu’on voit autour du trépied devant le temple de Delphes, et d’autres pareilles qu’ils ont consacrées Abes.

Ce fut ainsi que les Phocidiens traitèrent l’infanterie thessalienne qui les assiégeait. Quant à la cavalerie, qui avait fait une incursion sur leurs terres, ils la détruisirent sans ressource. Près d’Hyampolis est un défilé par où l’on entre en Phocide. Ils creusèrent en cet endroit un grand fossé, y mirent des amphores vides, et, l’ayant recouvert de terre, qu’ils eurent soin de mettre de niveau avec le reste du terrain, ils reçurent en ce poste les ennemis qui venaient fondre sur leur pays. Ceux-ci, se jetant avec impétuosité sur les Phocidiens, comme s’ils eussent voulu les enlever, tombèrent sur les amphores, et leurs chevaux s’y brisèrent les jambes.