Je ne suis pas du tout étonné que vous flottiez toujours entre le bien et le mal, puisque vous n’avez pas encore mis le pied sur la terre ferme. Mais si vous étiez bien résolu à garder les commandements du Seigneur, qui est-ce qui serait en état de vous séparer de l’amour du Christ ? Oh ! si vous saviez, et si je pouvais vous dire : « Mais, ô mon Dieu ! il n’y a que vous qui puissiez découvrir à l’œil de l’homme ce que vous réservez à ceux qui vous aiment. » Mais vous, mon frère, vous qui lisez les prophètes, et qui sans doute croyez comprendre le sens de leurs écrits, n’est-il pas évident pour vous qu’ils aboutissent tous à Notre-Seigneur ? Si c’est à lui que vous aussi vous tendez, je vous assure que vous arriverez bien plus tôt à votre but en vous mettant à la suite du Sauveur qu’en feuilletant les prophéties. Pourquoi chercher le Verbe dans des livres, quand nous l’avons dans sa chair ? Il y a longtemps qu’il a quitté la retraite obscure des prophètes pour se montrer aux yeux des pécheurs, et qu’il est descendu des sommets nuageux et sombres de la loi antique, comme un jeune époux de son lit nuptial, dans les vastes plaines de l’Évangile ; il ne faut que des oreilles pour l’entendre lui-même disant dans son temple : « Si vous avez soif, venez à moi, et je vous désaltérerai » ou bien encore : « Que ceux qui sont chargés et fatigués s’approchent de moi, je les soulagerai. » Auriez-vous peur de tomber de faiblesse là où la Vérité même promet de vous soutenir ? Si vous avez tant de plaisir à boire l’eau trouble des citernes qu’alimentent les pluies du ciel, vous trouverez certainement bien meilleures celles que vous puiserez aux sources limpides du Sauveur.
Oh ! si seulement vous approchiez un jour de vos lèvres le pain délicieux dont se nourrit Jérusalem, comme vous vous hâteriez de laisser les écrivains juifs ronger leurs croûtes desséchées ! Que je serais donc heureux de vous voir enfin avec moi, à l’école du Christ, et de soutenir dans mes mains le vase purifié de votre cœur pour qu’il le remplisse de l’onction de sa grâce, qui accompagne toute science ! Que j’aimerais à rompre avec vous le pain encore chaud et fumant, sortant à peine du four, comme on dit, que le Christ se plait souvent à donner d’une main généreuse à ses pauvres ! Ce serait pour moi le comble du bonheur, si je pouvais jamais humecter vos lèvres d’une de des gouttes d’eau délicieuse que Dieu daigne quelquefois, dans sa bonté, faire pleuvoir sur son pauvre serviteur, et si à mon tour je partageais la douce rosée de votre âme ! Rapportez-vous-en, mon cher ami, à ma propre expérience. On apprend beaucoup plus de choses dans les bois que dans les livres ; les arbres et les rochers vous enseigneront des choses que vous ne sauriez entendre ailleurs, vous verrez par vous-même qu’on peut tirer du miel des pierres et de l’huile des rochers les plus durs. Ne savez-vous pas que la joie distille de nos montagnes, que le lait et le miel coulent de nos collines, et que nos vallons regorgent de froment ? il faut que je m’arrête ; que de choses pourtant il me resterait encore à vous dire ! Mais vous avez plus besoin de prier que de lire ; que Dieu ouvre votre coeur à l’amour de sa loi et de ses commandements. Adieu.
Source : Bernard de Clairvaux - Lettres, 106