La douleur nourrit l’âme. Souvent elle lui assure une pain plus fortifiant dans la vie que le pain de l’amour. Il ne faudrait point croire que la vie chrétienne soit une vie de privation continuelle ; c’est la privation seulement des biens temporels. Mais si elle est privation pour les organes physiques, elle est la satisfaction des besoins spirituels. La vie du chrétien, c’est le bien-être moral ; comme la vie de l’égoïste, c’est le bien-être physique. L’homme doit choisir sa nature.
Les riches du monde sont pauvres précisément par où les saints sont riches. La question est de savoir quelle est la valeur des richesses du saint et quelle est la valeur de celles du riche ; car les richesses n’ont de valeur que par leur propriété de satisfaire nos besoins. Quels sont ceux de l’homme : a-t-il besoin d’immortalité, a-t-il besoin de ce qui est passager ?
Qui saurait compter les richesses de la douleur ! Les hommes qui ont vécu à l’abri de la douleur ont ordinairement peu de valeur parmi leurs semblables. La vie n’est parvenue à défricher en eux que la surface de l’âme ; leurs sentiments et leurs affections n’ont pu prendre de profondeur. Ils montrent encore cette sorte d’affabilité banale qui s’efface aussi vite qu’elle naît ; mais ils ne connaissent point cette large sympathie qui absorbe la douleur dans ceux qui sont surchargés. C’est ce qui fait dire que le bonheur rend égoïste et que le malheur apprend à compatir.
Celui qui n’a point souffert ne sait pas où prendre son âme.
La douleur s’occupe de rétablir l’égalité des consciences et des conditions devant Dieu. L’artisan, qui se fatigue du matin au soir, conserve ordinairement des membres sains et un esprit paisible ; la douleur visite rarement sa pensée ou son corps. Le riche, qui se condamne à l’oisiveté, sent à tout instant sa santé dérangée et son esprit inquiet ; la douleur suppléant au travail, poursuit incessamment sa pensée et sa chair. C’est ce qui fait dire que les pauvres sont heureux et que les riches ont besoin de l’être.
Source : Antoine Blanc de Saint-Bonnet – De la douleur, IV