Déchiffrer les hiéroglyphes égyptiens – Textes des pyramides, Le Grand Départ

Les hiéroglyphes égyptiens

La compréhension de l’écriture hiéroglyphique fit un bond majeur une fois compris son fonctionnement double, à la fois figuratif et symbolique. En effet, ces signes peuvent soit représenter des objets ou des actions (appelés idéogrammes), soit représenter des sons (appelés phonogrammes).

Pour illustrer ces différences, prenons un hiéroglyphe simple :

Le bec, l’allure générale, les pattes, la queue… nous avons un canard, et plus particulièrement un canard pilet. Ce hiéroglyphe pourra donc être utilisé pour évoquer et parler tout simplement d’un canard.

Un canard pilet mâle

Mais parfois, il sera évident que ce même hiéroglyphe ne voudra pas dire « canard » comme par exemple lorsqu’il sera associé au hiéroglyphe du soleil pour former une épithète relative au pharaon :

Ce ne sera plus la fonction figurative qui sera utilisée mais le hiéroglyphe sera choisi pour sa prononciation – ici « sa » afin de former le mot qui veut dire « fils, fils de ». Dans cet exemple, l’ensemble se prononcera «sa ra» et voudra dire : fils de Rê (et non : canard du soleil).

Enfin, les hiéroglyphes peuvent avoir un dernière rôle en étant des déterminatifs, c’est-à-dire des idéogrammes dont la fonction est de déterminer le mot qu’il suit et d’en préciser le sens. Les déterminatifs n’ont aucune fonction phonétique, ils ne traduisent aucun son.

Par exemple, les déterminatifs peuvent préciser le sens pour distinguer des homophones :

Se prononce «i3w / iaou» et veut dire «vieux»
Se prononce «i3w / iaou» et veut dire «louange»

Le déterminatif de l’adjectif « vieux » est un vieil homme courbé sur un bâton tandis que pour le mot « louange » le déterminatif est un homme avec les deux mains levées en signe d’adoration.

En gardant en mémoire ce caractère général de l’écriture hiéroglyphique, nous allons maintenant examiner un court passage d’un des plus anciens écrits religieux, gravé dans la pierre il y a plus de 4500 ans.

Les Textes des pyramides

Les Textes des pyramides sont des textes sacrés de l’Égypte antique, comprenant des formules diverses – hymnes, litanies, incantations, formules d’offrandes – censées protéger le roi et redonner vie à son corps dans l’au-delà. La plus ancienne version de ces textes recouvre les parois de la pyramide d’Ounas, dernier pharaon de la Ve dynastie entre 2371 et 2350 av. J.C. Les Textes des pyramides sont connus grâce aux découvertes de l’archéologue français Gaston Maspero en 1881 dans cette pyramide, située dans la nécropole de Saqqarah (proche de Memphis) – un ensemble funéraire avec onze pyramides : six pyramides de rois et cinq de reine.

L’extrait choisi ci-dessous (tiré du texte 213 du Texte des pyramides) s’inscrit dans cette volonté de préparer le défunt, fait de chair et de sang, à sa future vie dans le monde des dieux, son passage du monde sensible et temporel au monde éternel.

De nombreux hiéroglyphes sont ici pris pour leur symbolique notamment les parties du corps du défunt qui sont littéralement divinisés : nous verrons en détail ces différents parties ainsi que les dieux évoqués.

Quelques notes pour la lecture :

  • Les textes en égyptien hiéroglyphiques sont regroupés en lignes horizontales ou en colonnes verticales avec un sens de lecture correspondant au côté où sont orientés les êtres animes (animaux, hommes). Enfin lorsque deux signes se superposent, le signe du haut se lit en premier. Dans ce passage, le texte se lit donc de gauche à droite et de haut en bas.
  • « N » est une convention égyptologique pour remplacer le nom du défunt.
TP213 – § 134

Ô N, tu ne t’en es pas allé mort, tu t’en est allé vivant !

Siège sur le trône d’Osiris ! Ton sceptre âba à ta disposition, tu donneras des ordres aux vivants ;

Le sceptre mékès et ton sceptre nehbet à ta disposition, donne des ordres à ceux-dont-les-places-sont-cachées [= les morts] !

TP213 – § 135

Tes bras sont ceux d’Atoum, tes épaules sont celles d’Atoum, ton ventre est celui d’Atoum, ton dos est celui d’Atoum,

Ton séant est celui d’Atoum, tes jambes sont celles d’Atoum, ton visage est celui d’Anubis !

Fais donc le tour des buttes d’Horus, fais donc le tour des buttes de Seth !

La traduction pas-à-pas

De nombreux hiéroglyphes détaillent les parties du corps du défunt qui sont divinisées. Ci-dessous en prenant le paragraphe 135 avec chaque hiéroglyphe, le schéma suivant se répète:

  • Une partie du corps humain avec son hiéroglyphe : bras, épaule, ventre, dos, derrière, jambe, visage (avec des hiéroglyphes doublés si nécessaires pour indiquer les deux épaules/jambes)
  • Le pronom personnel «ton», «toi» pour indiquer que ce sont celles du défunt
  • Le nom des dieux Atoum et Anubis
135a

Tes bras sont ceux d’Atoum, tes épaules sont celles d’Atoum, ton ventre est celui d’Atoum, ton dos est celui d’Atoum

135b

Ton séant est celui d’Atoum, tes jambes sont celles d’Atoum, ton visage est celui d’Anubis !

Code selon la classification GardinerHiéroglyphesTypePrononciationSignification
D36𓂝Idéogrammeʿle bras
V31𓎡Phonogrammekpronom personnel, masc. sg. «ton», «toi»
D41𓂢Idéogrammermnles épaules
F32𓄡Idéogrammeẖtle ventre
Aa17𓐟Idéogrammes3le dos
F22𓄖Idéogrammepḥwyle derrière, le séant
D58𓃀Idéogrammebwles jambes
D2𓁷Idéogrammeḥrle visage
G17𓅓Phonogrammemutilisé pour le nom d’Atoum
U15𓍃Phonogrammetmutilisé pour le nom d’Atoum
X1𓏏Phonogrammetutilisé pour le nom d’Atoum
E15𓃢IdéogrammeinpouAnubis
Détails des hiéroglyphes

Enfin, dernière injonction pour le défunt avec la présence des buttes d’Horus et de Seth. Ce couple Horus / Seth apparaît régulièrement dans les Textes des pyramides et ces buttes représentent probablement les nécropoles royales (puis les métropoles) d’Hiérakonpolis (ville ou l’on adorait Horus) de Nagada et Abydos. Le roi défunt continue de parcourir les nécropoles, puis par extension les métropoles de son royaume et le pays tout entier.

135c

Fais donc le tour des buttes d’Horus, fais donc le tour des buttes de Seth !

Code selon la classification GardinerHiéroglyphesTypePrononciationSignification
F46𓄲Idéogrammepḫrse tourner (représente les replis d’un intestin)
N35𓈖Phonogrammenpréposition «pour» renforçant l’impératif (représente un filet d’eau, symbole d’énergie)
V31𓎡Phonogrammekpronom personnel, masc. sg. «ton», «toi»
N30𓈏Idéogrammei3tla colline, la butte, le monticule
G5𓅃IdéogrammeḥrwHorus
E21𓃫Idéogramme (variant)stšSeth
(variant de l’idéogramme 𓃩)
Détails des hiéroglyphes

Les sceptres égyptiens, symboles de pouvoir

Les sceptres sont non seulement des regalia, des attributs symbolisant le pouvoir du pharaon, mais expriment aussi métaphoriquement la transfiguration du roi en un défunt glorifié, divinisé : dans cet extrait du Texte des pyramides, celui-ci est amené en effet à « donner des ordres aux vivants et aux morts » et ceci avec pas moins de trois sceptres différents !

Le sceptre âba ou sceptre sekhem, symbole d’autorité, de la force et du contrôle.
Le sceptre nehbet, un sceptre en forme de bouton de lotus.
Le sceptre mékès, tenu par le roi dans certaines cérémonies. Il contenait ou symbolisait le décret divin légitimant son accession au trône.

Les dieux : Osiris, Atoum, Anubis, Horus et Seth

Enfin pour terminer, différents dieux sont cités, principalement Atoum : le corps du pharaon est éternel et ses membres sont assimilés à ceux du dieu démiurge. Seul son visage est rapproché au dieu Anubis.

Osiris, le roi des domaines funéraires et le juge des défunts. Bon souverain, il délivre les Égyptiens de leur existence triste et misérable, leur apprend l’agriculture et les lois. Son frère Seth, fou de jalousie, le tuera. Son nom est basé sur le hiéroglyphe représentant le trône.
Le dieu Anubis, divinité funéraire, spécialiste des momies et protecteur des embaumeurs. Divinité canine, au pelage noir, il veille sur les nécropoles et monte la garde pour les défunts.
Habillé d’un simple pagne, coiffé d’une double-couronne et tenant un sceptre, Atoum, le dieu démiurge façonna les premiers dieux. Il devient le dieu du soleil couchant dans la triade d’Héliopolis (« Ville du soleil ») : « Je suis Khépri le matin, Rê à midi, Atoum le soir. »
Horus, le dieu faucon dont le culte commença très tôt à Hiérakonpolis (« Ville du Faucon »), protecteur du pouvoir royal dès les premières dynasties vers 3100 av. J.C. Souvent associé a Seth, il forme avec celui-ci un binôme conflictuel mais dont la réconciliation symbolise pour le règne de pharaon une force unificatrice.
Sources :
- Alan Gardiner - Egyptian Grammar: Being an Introduction to the Study of Hieroglyphs
- Kurt Sethe - Die Altaegyptischen Pyramidentexte, Spruch 213
- Bernard Mathieu - La Littérature de l’Égypte ancienne Volume I
- Bridget McDermott - Déchiffrer les hiéroglyphes
- Richard Chaby, Karen Gulden - Mots et Noms de l'Egypte Ancienne: Volume 1 : Egyptien - Français