Geneviève de Brabant – L’innocence reconnue

Un certain Matthias Emmichius écrivit en 1472 une première version de la vie de la princesse palatine Geneviève de Brabant. Ce récit légendaire prend néanmoins ses racines dans la figure historique de Marie de Brabant, épouse de Louis II de Bavière qu’il fit exécuter en 1256 pour adultère sans apporter de preuve.
Cette légende commence peu après le mariage entre le palatin Sigefroid et Geneviève, fille du duc de Brabant. Appelé par Charles Martel pour rejoindre sa croisade contre les infidèles, le jaloux Sigefroid désigne pour le représenter pendant son absence le chevalier Golo. Peu après son départ, Geneviève découvre alors qu’elle est enceinte de Sigefroid.
N’étant pas parvenu à la séduire, Golo la dénonça par vengeance auprès de son époux en l’accusant faussement d’avoir commis un adultère. Condamnée à la noyade, Geneviève se retrouve seulement abandonnée dans une forêt, survivant avec son enfant pendant de nombreuses années — la légende rapporte qu’ils survécurent à ce moment là notamment grâce au lait d’une biche qui s’attacha à eux. Sigefroid revenu, celui-ci découvre Geneviève dans une grotte lors d’une partie de chasse et comprend la vérité.
Les retrouvailles faites, Geneviève reprend son rang de comtesse tandis que l’intendant Golo est exécuté pour sa félonie.

L’abandon et le désespoir de Geneviève

L’hiver approchait ; le temps était sombre et nébuleux. Toute la contrée présentait un aspect rude, sauvage et effrayant ; de toutes parts des rochers nus, des sapins noirs, des buissons épineux et des genévriers dépouillés de feuilles. Bientôt il commença à neiger ; son enfant se mit à pleurer de froid et de faim ; Geneviève elle-même pouvait à peine se soutenir ; elle chercha de tous côtés quelque arbre creux, quelque grotte pour se mettre à couvert, et quelque fruit sauvage pour s’en nourrir. Elle ne put découvrir aucun abri, ni le moindre fruit sur tous ces arbrisseaux presqu’effeuillés. Elle se mit à creuser de ses mains délicates pour trouver quelques racines ; la terre, qui était déjà gelée, fut rougie de son sang.

Elle en arracha enfin quelques-unes avec peine, et après les avoir mâchées, elle les donna à manger à son enfant ; épuisée, chancelante, son enfant sur les bras, exposée à la neige et à toutes les intempéries d’une saison rigoureuse, elle s’avança davantage dans le désert sans savoir où la porteraient ses pas.


Les retrouvailles de Sigefroid et Geneviève

Le comte descend de son cheval, l’attache à un arbre, suit la piste de la bête sur la neige fraîchement tombée, et arrive jusqu’à la caverne. Il regarde dans la grotte et aperçoit dans le fond une figure humaine décharnée, qui avait l’aspect de la mort. C’était Geneviève, qui avait résisté à sa longue maladie ; mais elle était tellement affaiblie, qu’il lui eût été impossible de recouvrer ses forces dans ce désert ; elle attendait donc la mort à tout instant.

« Si tu es un être humain, lui cria le comte sors de cette caverne et montre-toi à la clarté du jour. » Geneviève sortit. Elle tremblait de froid ; la pâleur de la mort était peinte sur son visage. « Qui es-tu , lui dit le comte, en reculant d’effroi, comment es-tu venu ici ? » Il ne se doutait pas que ce fût son épouse, mais Geneviève l’avait reconnu aussitôt. « Sigefroid, lui répondit-elle d’une voix faible, je suis Geneviève, ton épouse, que tu as condamnée à mort ; mais Dieu m’est témoin que je suis innocente. »

Un homme frappé par la foudre n’eût pas été plus terrifié que le comte. Veillait-il ? Était-ce l’erreur d’un songe ? Comme sa profonde mélancolie le jetait souvent dans une espèce d’égarement d’esprit, et qu’il se trouvait enfoncé dans cette forêt, seul et loin de toute sa suite, son esprit se troubla et il crut que ce qu’il avait devant les yeux était le spectre irrité de Geneviève.

« Ombre de mon épouse chérie, s’écriat-il d’une voix effrayante, tu viens donc me reprocher mon horrible assassinat ? Est-ce ici ? Est-ce dans ce lieu funeste qu’ils t’ont égorgée ? Est-ce dans cette grotte, qu’ils ont enterré ton corps ? Oui, tes restes sanglants s’agitent dans la tombe ! Tu t’indignes de ce que ton meurtrier ose fouler une terre rougie de ton sang ! Oh ! Rentre dans ta demeure! Éloigne-toi ! Ma conscience est un bourreau qui me torture sans relâche… Prie pour un malheureux, qui n’a plus de repos à espérer ici-bas. Ou bien montre-toi sous un aspect moins lamentable ; montre-toi dans la gloire des esprits célestes, et dis-moi, Geneviève, dis-moi que tu m’as pardonné. »

« Sigefroid, répond Geneviève en pleurant, mon bien-aimé Sigefroid, je ne suis point un fantôme. Je suis Geneviève ton épouse : je suis réellement encore vivante, et je te pardonne de tout mon cœur. »

La surprise, l’effroi avait tellement frappé le comte qu’il était tout hors de lui-même. Son trouble l’empêchait de rien distinguer, de rien entendre ; d’un œil hagard, il regardait Geneviève, et croyait toujours n’apercevoir qu’un spectre.


L’épilogue : le bien et l’innocence triomphent

L’horreur de cette nuit terrible qu’elle avait crue être la dernière de sa vie, vint alors se représenter vivement à son souvenir. « Ô Dieu! s’écria-t-elle, en levant les yeux au ciel, qui aurait cru, lorsqu’on me conduisait hors de ces murs pour m’égorger, comme une criminelle, qu’un jour j’y rentrerais avec tant de pompe ? Vous seul, ô mon Dieu ! le prévoyiez, et me prépariez déjà ce bonheur. Si vous honorez, si vous récompensez l’innocence sur la terre avec tant d’éclat, que sera-ce dans le ciel ! »

« C’est bien parler, madame la comtesse dit Wolf ; l’innocence n’est pas toujours honorée sur la terre, comme en ce jour ; rarement même elle est triomphante. Cela arrive cependant quelquefois, et par là Dieu veut nous donner un avant-goût de ce qu’il nous prépare dans le ciel. »

Le vieillard se tourna alors vers le comte, et lui dit : « Monseigneur, il y a quatre-vingts ans que je suis sur la terre. Souvent je suis rentré victorieux dans ce château en revenant de la guerre ; mais jamais je n’ai vu un triomphe pareil à celui-ci. — Je le crois, mon brave, lui répondit Sigefroid, aussi est-ce le triomphe de l’innocence et de la vertu. »

Tous les chevaliers, toutes les dames applaudirent à cette réponse. Les demoiselles déclarèrent que, dès ce moment, elles prendraient la fleur blanche et le myrte toujours vert pour le symbole de l’innocence et de la fidélité conjugale et pour la couronne nuptiale : usage, qui s’est conservé jusqu’à ce jour dans plusieurs contrées de l’Allemagne.

Source : Christophe Von Schmid - Histoire de Geneviève de Brabant