Henry D. Thoreau – De l’éducation

J’ai l’intention de me bâtir une maison plus magnifique et luxueuse que toutes celles de la grande rue de Concord dès qu’elle me plaira autant que ma maison actuelle, et qui ne me coûtera pas plus cher.

J’ai ainsi appris que l’étudiant désireux d’un abri peut s’en procurer un pour la vie, à un prix inférieur à son loyer annuel. Si je parais me vanter davantage qu’il ne convient, j’ai pour excuse que je me vante au nom de l’humanité plutôt qu’en mon nom propre ; et puis mes manquements et mes inconséquences ne modifient en rien la vérité de mes dires. Malgré beaucoup de phrases mielleuses et d’hypocrisie, – brins de paille que je trouve difficile à séparer de mon grain, mais que je regrette comme le premier venu -, j’ai l’intention de respirer librement et de m’étendre à ce sujet, car c’est pour moi un grand soulagement, tant au moral qu’au physique ; et je suis bien décidé à ne pas me faire, par humilité, l’avocat du diable. Je vais tâcher de dire un mot en faveur de la vérité.

À l’Université de Cambridge, le simple loyer annuel d’une chambre d’étudiant, qui est seulement un peu plus vaste que la mienne, s’élève à trente dollars, bien que l’administration ait eu l’avantage d’en construire trente-deux côté à côté et sous le même toit, et que leurs occupants souffrent de l’inconvénient d’un voisinage nombreux et bruyant, et parfois de celui de loger au troisième étage. Je ne peux m’empêcher de penser que, si nous avions davantage d’authentique sagesse à cet égard, non seulement nous aurions besoin de moins d’éducation, car nous en aurions évidemment acquis davantage, mais les dépenses liées à cette éducation seraient grandement diminuées. Ces commodités exigées par l’étudiant à Cambridge ou ailleurs lui coûtent, à lui ou à autrui, dix fois plus cher que les choses étaient mieux organisées d’un côté comme de l’autre. Ce qui exige le plus d’argent, n’est jamais ce dont l’étudiant a le plus besoin. Les frais d’instructions, par exemple, constituent une dépense importante sur la facture du trimestre, alors que, pour le bénéfice beaucoup plus grand qu’il tire de la fréquentation de ses contemporains les plus cultivés, on n’exige de lui aucun argent. Pour fonder une université, il faut d’habitude ouvrir une souscription en dollars et en cents, pour suivre aveuglément les principes de la division du travail jusqu’à ses conséquences extrêmes, un principe qu’il ne faudrait adopter qu’avec la plus grande circonspection -, contacter un entrepreneur qui fait de ce projet une affaire de spéculation, qui emploie des Irlandais ou d’autres ouvriers pour poser les fondations du bâtiment, tandis que les futurs étudiants sont supposés s’y préparer ; et toutes les générations successives doivent payer ces erreurs.

Je crois qu’il vaudrait mieux, pour les étudiants et pour ceux qui souhaitent bénéficier de cette éducation, poser eux-même ces fondations. L’étudiant qui s’assure ses loisirs et son isolement tant désirés en évitant systématiquement tout travail nécessaire à l’homme n’obtient qu’un loisir ignoble et sans profit, en se soustrayant à la seule expérience susceptible de rendre son loisir fructueux. « Mais, m’objectera-t-on, vous ne pensez tout de même pas que les étudiants devraient travailler avec leurs mains plutôt qu’avec leurs têtes ? » Ce n’est pas tout à fait ce que je veux dire, mais je veux dire une chose que mon contradicteur pense sans doute ; je veux dire que les étudiants ne devraient pas jouer à la vie, ni se contenter de l’étudier, alors que toute la communauté les entretient à ce jeu de luxe, mais la vivre réellement, du début jusqu’à la fin. Comment des jeunes pourraient-ils mieux apprendre à vivre, sinon en se lançant d’emblée dans l’expérience de la vie ? Je crois que cela exercerait leur esprit autant que les mathématiques. Si, par exemple, je souhaitais qu’un garçon apprenne quelque chose des arts et des sciences, je ne me fierais pas au cursus habituel, qui consiste simplement à l’envoyer auprès de quelque professeur, où tout est professé et pratiqué, sauf l’art de vivre : observer le monde à travers un télescope ou un microscope, et jamais avec ses propres yeux ; étudier la chimie ou la mécanique, sans apprendre comment on fait le pain, ni comment on le gagne ; découvrir de nouveaux satellites de Neptune, et ne pas être capable de voir la paille dans son œil, ni de quel vagabond il est lui-même le satellite ; ou encore être dévoré par les monstres qui grouillent autour de lui, tandis qu’il étudie ceux qui infestent une goutte de vinaigre. Lequel des deux aurait le plus avancé à la fin du mois, le garçon qui a fabriqué son propre couteau de poche avec le minerai qu’il a extrait et fondu, en lisant tout ce qui est nécessaire à ces processus, ou bien le garçon qui a suivi les conférences sur la métallurgie à l’Institut, puis a reçu de son père un canif Rodgers ? Lequel a le plus de chance de se couper les doigts ? … A ma grande surprise, j’ai appris à la sortie de l’université que j’avais étudié la navigation ! Mais enfin, si j’avais seulement fait un tour dans le port, j’en aurais appris davantage.