La contemplation – La réunion de soi avec le sacré

La racine étymologique

Caspar FriedrichLe Voyageur contemplant une mer de nuages

Contempler une cathédrale, un lieu naturel, une personne, une idée, c’est porter notre regard et mettre en œuvre nos sens ou notre intelligence vers cet objet d’admiration.

Le mot dérive du verbe latin contemplor et est composé :

  • Du préfixe con qui vient de la préposition cum signifiant avec et exprime donc l’adjonction, la réunion.
  • Du nom templum désignant l’espace sacré délimité par les augures puis par extension un espace consacré à une divinité pour un culte religieux.

La contemplation est donc l’adjonction, la réunion de soi au sein de cet espace sacré.

Le temple étrusque, égyptien et japonais

Séparer l’espace réservé aux célébrations religieuses et au culte divin est une pratique qui se retrouve dans de nombreuses civilisations de l’Europe à l’Asie : le temple est après la prise des augures séparé physiquement du reste du monde, des bâtiments et de l’activité de la vie quotidienne.

Les grecs et les étrusques entre autres définissaient un territoire sacré, inviolable, séparé du monde avec un téménos c’est-a-dire une cour clôturée du sanctuaire et délimitée par une enceinte appelée péribole (initialement des pierres marquant une zone, puis des clôtures légères et enfin des enceintes murées).

Embase d’un temple étrusque à Orvieto

Au delà de cet espace consacré, le temple étrusque en lui-même possède d’autres caractéristiques  :

  • Il est élevé sur un podium, une haute terrasse à gros blocs, séparant et élevant encore plus le lieu du culte divin.
  • Il est constitué d’un triple cella, pour les trois dieux (Jupiter, Junon, Minerve). Les matériaux utilisés pour sa construction sont modestes : bois, tuile, argile et terre cuite.
  • Il est décoré par des antéfixes, des statues placées aux extrémités des poutres et des files de tuiles. À ces antéfixes s’ajoutent des acrotères, des statues de terre cuite grandeur nature, dont la plus grande représente Jupiter recouvert de plusieurs couches de minium (pigment synthétique de couleur rouge orangé), nous dit Pline l’Ancien. De plus aux colonnes et aux frises étaient suspendues des dépouilles et des trophées : épées, boucliers, proues de vaisseaux, étendards…

Avant la construction du temple dans cet espace consacré, la prise d’augure est effectuée : un prêtre (appelé aussi augure) recherche un signe – bon ou mauvais – envoyé par le dieu puis l’interprète afin de déterminer la conduite à tenir pour le satisfaire.

Un exemple célèbre de prise d’augures pour les latins : lorsque Romulus et Remus cherchent le lieu où fonder Rome – l’un ayant choisi la colline du Palatin, l’autre celle de l’Aventin – les deux frères observent le vol des oiseaux. Le templum choisi grâce aux augures est non seulement une délimitation au sol mais aussi dans le ciel même au-dessus.

Bernhard Rode – Un augure analysant le vol des oiseaux

La même pratique se retrouve en Egypte où le temple est aussi symboliquement et physiquement un lieu à part. D’ailleurs, cette définition se retrouve dans le mot même pour signifier le temple :

HiéroglyphePrononciationSignification
𓉗ḥwt (hut)L’enclos sacré, espace rectangulaire avec une porte
𓊹 nṯr (netjer)Le fanion, le drapeau qui symbolise le dieu dans le temple
Hut-netjer, la maison du dieu : le temple

Le fanion marquant la présence du dieu dans le temple se trouve au niveau du pylône d’entrée au bout d’un mât arrimé à la structure centrale – ci-dessous une illustration de l’entrée du temple de Louxor :

Au Japon, suivant la géomancie chinoise utilisée pour définir un lieu propice pour le temple en fonction de la position des montagnes, des étoiles, des ressources etc, nous retrouvons le même principe avec le himorogi.

Le himorogi s’écrit en japonais 神籬 et signifie littéralement « clôture divine » : il correspond au balisage de l’espace sacré, un lieu qu’entoure des cordes pour définir l’espace de transition sur terre où le dieu peut venir.

Exemple d’himorogi
Un autre himorogi avec une table contenant des offrandes pour le dieu

Au lieu d’un fanion flottant comme pour le temple égyptien, le temple japonais a des guirlandes de gohei (御幣 : papier, offrande), des bandes de papiers pliées en zigzag et accrochées à un pilier de bambou. Ces bandes de papier n’indiquent pas la présence du dieu mais servent à purifier le temple.

Guirlande de gohei au sanctuaire Meiji
Détail d’un gohei

Temp(le)s ?

Pour revenir à la racine indo-européenne du mot temple, une des hypothèses de son origine est que ce mot proviendrait de la racine [tm] signifiant la coupure, la césure et que l’on retrouve donc dans :

  • Le temple donc : l’espace sacré découpé dans le ciel.
  • Le temps : le découpage des jours en plusieurs parties.

De manière (peut-être) fortuite, il est à noter que les mots temps et temple en japonais s’écrivent avec :

  • Le caractère 時 (toki) signifie le temps et est composé des caractères 日 (nichi) le jour et 寺 (tera) le temple.
  • Le caractère 寺 (tera) signifie le temple.

De la même manière que les églises sonnaient pour « découper » et indiquer le temps au cours de la journée, le temple japonais avait la même fonction et ces deux mots se sont formés pareillement.

Un clocher d’église en Bretagne
Clocher de Kawagoe au Japon

Ces nombreux exemples à travers les époques et les lieux montrent bien cette constance dans la séparation du sacré et du profane, cette importance de choisir le lieu propice pour le culte divin et l’exercice des rites religieux. Il semble donc incongru de penser :

« qu’il semblerait que le himorogi préfigure et incarne une façon très particulière et tout à fait propre à la culture japonaise de penser et d’instaurer l’espace, de créer le lieu »

Dictionnaire de la spatialité japonaise – Article sur le himorogi

Dire que cette manière de créer un espace sacré serait « tout à fait propre à la culture japonaise » semble être une conclusion hâtive et manquant de recul en la comparant avec d’autres civilisations. Les quelques exemples brièvement indiqués avec les étrusques, les grecs, les romains ou les égyptiens montrent au contraire que cette pratique serait un lieu commun et que les variations resteraient mineures dans la manière de faire et loin d’être « une façon très particulière […] de penser l’espace ».