Le système féodal était, dans son principe, une vaste fédération, pour ne pas dire une vaste famille, où les droits et les devoirs étaient réciproques. La situation des serfs, des ouvriers, des prolétaires, était souvent supérieure à celle de leurs similaires aujourd’hui. La royauté était paternelle, la chevalerie était une garde-noble au service du faible. La dîme et la corvée étaient des impôts bien doux auprès de ceux qui les remplacent à présent.
Tout cela s’explique par l’esprit de justice et de fraternité chrétiennes qui dominait alors, et par l’organisation de la société elle-même à la fin du Moyen Âge.
Cette organisation était essentiellement réfractaire à la servitude ; elle garantissait partout les libertés collectives et individuelles détruites par la Révolution, et disparues sous notre régime centralisateur à outrance.
« On n’y connaissait pas l’État, dans le sens qu’on donne aujourd’hui à ce mot. S’il s’agit de l’État au sens moderne ou romain, de l’État abstrait, pris par opposition aux particuliers, rien n’est plus étranger aux idées du Moyen Âge. L’État ainsi entendu n’existe pas alors. Il y a le roi, les seigneurs, les communes, l’Église, les communautés, les corporations et corps de métiers, tout cela se mouvant librement dans sa sphère, ayant chacun sa vie propre et indépendante.
« Aussi disait-on : les États et non pas l’État. Quand leurs députés se réunissaient, on disait : les États généraux. Le royaume de France, c’était l’ensemble et non pas l’abstraction des États. À aucune époque l’État ne fut plus concret. »
« On eut souri si quelqu’un s’était avisé, au Moyen Âge, de déclamer magistralement cette sentence moderne : Il ne doit pas y avoir d’État dans l’État. »
Elle eût paru, avec raison, la négation des différentes libertés individuelles et collectives, puisqu’elle eût en traîné la suppression des États au profit d’une autorité unique et exclusive accaparant seule le pouvoir. Personne alors, pas même le roi, ne songeait à le revendiquer. Il ne se considérait que comme le suzerain d’une confédération.
La monarchie dans l’État, l’aristocratie dans la province, la démocratie dans la commune, telle était l’organisation sociale ; le système le plus favorable à la liberté. Grâce à la Révolution, il n’y a plus à présent que l’autocratie de l’État se faisant sentir jusqu’à la Commune, par ses fonctionnaires et les maires, révocables aujourd’hui, indépendants autrefois.
Nous ne prétendons pas nous élever, d’une manière absolue, contre la centralisation qui a pu devenir nécessaire ou avantageuse à certains points de vue. Ce que nous disons seulement, c’est que le Moyen Âge, qu’on accuse d’être une époque de servitude, fut, au contraire, l’époque où toutes les libertés individuelles et collectives étaient à leur apogée. Les seigneurs féodaux d’abord, et l’autorité royale ensuite, les reconnaissaient et les respectaient.
Il nous reste à établir que ces libertés n’ont fait que dégénérer à partir de la Renaissance et sous l’ancien régime, et qu’elles ont disparu sous la Révolution, au profit de l’omnipotence de l’État, qui n’en supporte aucune qui le contredise et lui porte ombrage. L’oppression est devenue légale, parce que les lois oppressives et les invalidations d’élections qui déplaisent au pouvoir, sont votées par une majorité. La Révolution a inventé et fait prévaloir cette monstruosité philosophique, que LE NOMBRE FAIT LE DROIT. Au Moyen Âge, la justice seule fait le droit, et l’Évangile inspire la justice. Là est la raison de la supériorité morale du Moyen Âge sur tous les autres temps.
Source : Georges Romain - Le Moyen Âge fut-il une époque de ténèbres et de servitude ? (1889)