La découverte du disque de Nebra
Le disque céleste de Nebra est la plus ancienne représentation connue au monde de la voûte céleste datant de -1600 avant J.C. C’est donc à ce titre un artefact majeur dans l’histoire de l’humanité, non seulement pour l’archéologie mais également pour l’astronomie et l’histoire des religions.
Ce disque de 32 centimètres de diamètre est réalisé en bronze (un alliage de cuivre et d’étain ayant une bonne résistance à la corrosion) et fut découvert sur le mont Mittelberg, près de la ville de Nebra en Allemagne (à 60 kilomètres à l’ouest de Leipzig) lors de fouilles clandestines en 1999 faites par deux amateurs. Lors de leur fouille avec des détecteurs à métaux, ils trouvèrent également un ensemble d’épées en bronze, de haches et de bracelets. Après avoir essayé de revendre ces artefacts sur le marché noir, le disque fut retrouvé en Suisse et finalement remis en 2002 au Musée d’État de la Préhistoire de Halle où il se trouve encore de nos jours.
Avant d’examiner ce qu’il représente, il est possible de détailler sa composition, ce qui permettra de voir les étapes qui ont été nécessaires pour l’authentifier et le dater.
D’après les analyses métallurgiques faites, le cuivre du disque de Nebra proviendrait de mines de l’âge du bronze situées dans les Alpes orientales, et la majorité de l’or qui recouvre le disque aurait été extrait en Transylvanie.
Le cuivre fut un des premiers métal utilisé par l’homme et dont l’usage s’est répandu en Europe occidentale entre -3200 à -2000 avant J.-C., partant de bassins de production en Roumanie, Bulgarie, Autriche puis gagnant progressivement d’autres régions telles que la Toscane, les Alpes, les Cornouailles.
Ci-dessous, quelques indications avec les principales mines de cuivre, d’étain et d’or en Europe occidentale ainsi que la progression de l’usage du bronze entre -3800 et -3000 avant J.C. :
L’analyse des matériaux permet donc de connaitre la provenance du cuivre, de l’étain et de l’or grâce a l’utilisation des isotopes du fer pour le traçage des métaux anciens, principalement ferreux, mais également de dater le disque et découvrir les ajouts successifs qui ont pu être fait dessus.
Son authenticité remise en cause
Étant données les circonstances de la découverte du disque, de nombreux doutes ont été émis par des experts sur son authenticité. Dans des fouilles archéologiques traditionnelles, l’environnement est plus « sous contrôle » : le site est étudié ou connu au préalable, nous savons en quelque sorte ce qui peut être trouvé, les différentes strates sont étudiées avec rigueur, les artefacts sont catalogués et précisément relevés.
Ici pour le disque de Nebra, sa découverte fut le fruit du hasard – le disque ayant même été endommagé lors de sa découverte – et sa réapparition quelques années plus tard en 2002 ne permit pas d’avoir la confiance immédiate de la communauté scientifique.
L’authenticité de cette découverte archéologique se devait donc être au dessus de tout doute raisonnable, d’autant plus avec l’importance symbolique de cet artefact dans l’histoire de l’humanité.
Malgré le travail scientifique réalisé par le spécialiste autrichien d’archéométrie Ernst Pernicka en 2004, un archéologue allemand, le professeur Peter Schauer, gardait un certain scepticisme et annonçait en 2005 dans une Note critique que le disque était un faux de fabrication moderne en concluant :
« Bien que le métal puisse avoir « plus de 100 ans » , il n’y a pas encore d’indice clair que l’objet en question soit un produit de l’âge du bronze européen.
(…)
Les sources relatives à l’ensemble en bronze, acquis sur le marche de l’art et supposé provenir du Mittelberg à Nebra (Saxe-Anhalt), ne sont absolument pas claires et se soustraient à tout jugement sérieux. Ni les analyses métallographiques conduites, ni les résultats des examens pédologiques n’engageaient à contribuer à la clarification de la découverte ; de même, l’association des différentes pièces entre-elles et l’authenticité du « disque céleste » lui-même sont contestables.»
Peter Schauer
En 2020, d’autres archéologues avec Rupert Gebhard, directeur de la Collection archéologique du musée de Munich et professeur de protohistoire à l’université de Munich, et Rüdiger Krause, professeur de préhistoire à l’Université Goethe de Francfort, remirent également en cause des données sur les circonstances de sa découverte et conclurent que le disque appartenait plutôt à l’âge du fer, soit 1000 ans plus tard.
Cependant, de nouvelles études pour les premières critiques de 2004 sur l’authenticité du disque furent menées et publiées par E. Pernicka et H. Meller, tandis que les points soulevés en 2020 furent tous réfutés quelques mois plus tard par une nouvelle publication scientifique réalisée par treize spécialistes, mettant fin à cette polémique sur l’âge du disque de Nebra.
Il ne fait maintenant plus aucun doute que ce trésor archéologique est bien la plus ancienne représentation connue au monde de la voûte céleste et est daté de -1600 avant J.-C.
Quatre millénaires auparavant
Maintenant que la composition et l’origine du disque sont clarifiées, il est enfin temps de détailler son contenu.
La connaissance provenant de l’observation du ciel est forcément antérieure à la fabrication même du disque de Nebra qui nécessitait des connaissances en métallurgie. À seulement 26 kilomètres de Nebra, un site neolitique, plus rudimentaire, appelé « cercle de Goseck» et datant de -4800 av. J.C. a été reconnu comme ayant également des fonction astronomiques, avec trois cercles concentriques (faits à l’origine de terre et de pieux) qui coïncident avec les levers et couchers du soleil aux solstices d’hiver (21 décembre) et d’été (21 juin).
De même, le disque de Nebra inclut un certain nombre de repères astronomiques mais dans un format réduit sur un objet avec :
- La pleine lune (ou le Soleil, mais cette hypothèse est moins probable)
- Un croissant de lune
- Un groupe de sept étoiles qui correspondent clairement aux Pléiades
- Deux arcs de cercles en périphérie (ajoutés ultérieurement) indiquant les zones de lever et de coucher du Soleil au cours de l’année – indiquant les solstices d’été (21 juin) et d’hiver (21 décembre). Le disque devait être positionné à l’horizontale et l’arc latéral (vers l’est ou vers l’ouest) orienté pour repérer les levers et couchers de soleil sur l’horizon au moment des solstices.
- Un arc de cercle strié (ajouté également encore après) dont le sens n’est pas certain : il pourrait représenter la barque solaire, la Voie lactée ou un arc-en-ciel avec 3 stries de couleurs.
- Vingt-quatre cercles dorés représentant certainement d’autres étoiles ou planètes visibles dans le ciel, mais aucune identification n’est certaine.
Le contour extérieur du disque est percé de 39 trous qui servaient peut-être pour le fixer sur un élément décoratif ou sur un bouclier – le disque ayant été enterré avec des épées et des haches.
L’aube de l’astronomie
Le disque de Nebra est un artefact unique dans le sens où il montre que les connaissances en astronomie étaient plus avancées que ce que l’on pouvait imaginer dans cette partie de l’Europe.
À contrario, de nombreuses traces toutes aussi anciennes nous sont parvenues d’autres civilisations comme en Mésopotamie et en Egypte. Pour citer Norman Lockyer, scientifique et astronome, fondateur de la revue Nature et codécouvreur de l’hélium, dans son ouvrage L’aube de l’astronomie :
« Nous retournons en Égypte à une période, estimée par divers auteurs, d’environ 6000 ou 7000 ans. En Babylonie, des tablettes d’argile nous ramènent à un passé obscur pendant une période de 5000 ans probablement ; mais ces tablettes pour les présage indiquent que des observations d’éclipses et d’autres phénomènes astronomiques avaient été faites pendant plusieurs milliers d’années avant cette période. En Chine et en Inde on remonte aussi à certainement plus de 4000 ans.
En Babylonie, c’est une chose remarquable que dès les origines – pour autant que nous puissions en juger d’après les textes que nous avons – le signe pour signifier Dieu était une étoile. On retrouve la même idée en Égypte : dans certains textes hiéroglyphiques, trois étoiles représentaient le pluriel pour « dieux ». »
Norman Lockyer
Ci-dessous la représentation de ces symboles – parmi les plus simples à reconnaître dans toutes les langues avec des idéogrammes :
Langue | Symbole | Traduction |
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Égyptien hiéroglyphique | 𓇼 | Signification : étoile. |
Sumérien | 𒀯 | Signification : étoile, constellation. Formé de 3 symboles 𒀭signifiant « ciel » ou « dieu, déesse, divinité » |
Astronomie et astrologie étaient intimement liées pendant des millénaires. D’où l’importance de ces découvertes archéologiques pour non seulement appréhender les connaissances en astronomie d’époques lointaines (basées sur l’observation) mais également les possibles croyances religieuses ou les comportements sociaux.
Sous le ciel de Mésopotamie
Les Pléiades étaient aussi connues en Mésopotamie à l’époque du disque de Nebra et sont par exemple mentionnées dans des textes en ancien babylonien tels que les Prières pour les Dieux de la Nuit, datant d’environ -1830 av. J.C.
Les dieux invoqués dans cette prière sont moins connus, exceptés pour Gerra (dieu du Feu) et Erra (dieu de la Guerre), mais néanmoins, les Dieux de la Nuit apparaissent fréquemment dans des textes similaires. Le suppliant demande alors protection contre la maladie, la magie néfaste ou les impuretés. La plupart des Dieux de la Nuit se manifestent dans des étoiles ou des constellations (lignes 17-20) dont la plupart ont pu être identifiées.
Prières pour les Dieux de la Nuit, traduction en français |
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1. Les princes sont étroitement protégés 2. Les verrous de fermeture sont abaissés, les bagues de verrouillage sont en place 3. Auparavant bruyants, les gens sont silencieux 4. Auparavant ouvertes, les portes sont refermées 5. Les dieux de la terre et les déesses de la terre 6. Šamaš (dieu-Soleil, dieu de la Justice), Sîn (dieu-Lune), Adad (dieu de l’Orage, de la Fertilité) et Ištar (déesse de l’Amour, du Ciel et de la Guerre) 7. Sont entrés sous le giron des cieux 8. Ils ne rendent pas de jugement, ils ne tranchent aucun cas 9. La nuit est voilée 10. Le palais, sa chapelle et son sanctuaire sont assombris 11. Le voyageur appelle le dieu mais celui qui rend les décisions reste assoupi 12. Le juge de la vérité, père des indigents, 13. Šamaš est rentré dans son sanctuaire. 14. Puissent les grands dieux de la nuit 15. Brillante Gerra (dieu du Feu), 16. Guerrière Erra (dieu de la Guerre), 17. L’Arc (constellation avec probablement une partie de la constellation du Grand Chien), le Joug (probablement la constellation du Bouvier), 18. Orion, le Dragon (probablement l’Hydre), 19. Le Chariot (probablement la Grande Ourse), la Chèvre 20. Le Bison, le Serpent Cornu (d’autres constellations), 21. Etre prêts et apparaître ! 22. Dans l’augure que j’accomplis, 23. Dans l’agneau que j’offre, 24. Placez pour moi la vérité ! —————————- 25. Vingt-quatre lignes. Prière pour les Dieux de la Nuit. |
Voici d’autres exemples pour désigner la constellation des Pléiades et celle d’Orion en sumérien :
Translittération en sumérien | Sumérien | Akkadien | Traduction et étoile actuelle |
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MULMUL | 𒀯𒀯 | zappu | L’étoile des étoiles = la constellation des Pléiades |
MULSIPA.ZI.AN.NA | 𒀯𒉺𒇻𒍣𒀭𒈾 | šitaddaru ou šidallu | Le fidèle berger du ciel = la constellation d’Orion |
On retrouve le déterminatif 𒀯 qui permet de préciser que le mot suivant est le nom d’une constellation.
Une importante série de tablettes a été retrouvée dans l’école du temple de Nippur (actuelle Irak) datant d’environ -2000 av. J.C. Ces tablettes sont composées de listes de mots regroupés par thème comme des objets, des lieux, des dieux, des villes, des pays etc.
Nous retrouvons dans ces tablettes un groupe de 18 constellations connues par les Babyloniens et qui seront plus tard à l’origine des 12 signes du zodiaque. En rouge ci-dessous par exemple, le nom de la constellation d’Orion, le « fidèle berger du ciel » [𒀯𒉺𒇻𒍣𒀭𒈾 = MULSIPA.ZI.AN.NA] :
Voyage jusqu’en Grèce
Les connaissances astronomiques des Babyloniens ont été transmises jusqu’aux Grecs qui ont approfondi ce savoir et proposé de nouveaux systèmes pour expliquer les phénomènes célestes – l’astronomie étant alors une branche des mathématiques. On pourra citer Eudoxe de Cnide (-335†), un contemporain de Platon, qui formula une théorie du mouvement des planètes ou encore Aratos de Soles (-240†) qui composa un poème, Les Phénomènes, lequel servit de référence pour le nom donné aux étoiles.
La première évocation des Pléiades en Grèce remonte à Hésiode (environ -700†) dans Les travaux et les jours :
« Au lever des Pléiades, filles d’Atlas, commencez la moisson, les semailles à leur coucher. — Elles restent, on le sait, quarante nuits et quarante jours invisible ; mais l’année poursuivant sa course, elles se mettent à reparaître quand on aiguise le fer. — Voici la loi des champs, aussi bien pour ceux qui habitent prés de la mer que pour ceux qui, dans le pli des vallons, loin des flots houleux, vivent sur de grasses terres. Sème nu, laboure nu, moissonne nu, si tu veux achever en leur temps tous les travaux de Déméter, afin que, pour toi, chacun de ses fruits croisse aussi en son temps et que tu n’aies pas plus tard à mendier, indigent, à la porte d’autrui, pour ne rien mendier. »
Hésiode, Les travaux et les jours
Le texte grec parle de la période des semailles avec un labourage pour enterrer le grain et indique bien le moment dans l’année où il fait assez beau pour pouvoir labourer « vêtu seulement d’une tunique ».
En effet, la constellation des Pléiades apparaît pour les semailles en automne (lever héliaque vers fin mai / début juin et coucher héliaque fin novembre) avec sept étoiles visibles à l’œil nu : Astérope, Mérope, Électre, Maïa, Taygète, Céléno et Alcyone, sept sœurs filles du Titan Atlas et de l’Océanide Peironè.
En plus de marquer le rythme des travaux agricoles, les Pléiades sont également mentionnées par Hésiode comme point de repère pour les marins – leur disparition fin novembre annonçait la fin de la navigation :
« Lorsque, fuyant devant le redoutable Orion, les Pléiades se précipitent dans le sombre abîme des flots, de tous les points du ciel les vents soufflent avec furie. N’aie jamais, en ce temps, de vaisseaux sur la mer ; c’est alors, je te le répète encore, ne l’oublie pas, qu’il convient de travailler à la terre. »
Hésiode, Les travaux et les jours
Bien évidemment, il faut garder à l’esprit que l’observation des Pléiades et d’Orion entre la Grèce d’Hésiode en -700 et le disque de Nebra en Allemagne en -1600 av. J.C. ne peut-être strictement identique de part le point d’observation même ainsi que par le déplacement des étoiles au sein des constellations en plus d’un millénaire. Cependant, ces étoiles restent très visibles et facilement identifiables dans l’hémisphère nord par n’importe quel observateur, offrant des points de repères précis au cours de l’année afin de notamment rythmer les activités agricoles et de participer à la vie religieuse.
Sources : - Emilia Pasztor et Curt Roslund - An interpretation of the Nebra Disc, 2007 - R. Gebhard, R. Krause - Critical comments on the find complex of the so-called Nebra Sky Disk, 2020 - Schauer Peter - Kritische Anmerkungen zum Bronzeensemble mit Himmelsscheibe Nebra, 2005 - Hésiode - Les travaux et les jours, 384-395 - Jeffrey L. Cooley - An OB Prayer to the Gods of the Night - Chiera Edward - Sumerian Lexical Texts from the Temple School of Nippur, Cuneiform Series, Chicago : The University of Chicago Press, vol. I, 1929, n° 236 - Joseph Norman Lockyer - The dawn of astronomy, The Worship of the Sun and the Dawn