Lucius Quinctius Cincinnatus renia son fils qui, noté aussi d’infamie par les censeurs, s’enfuit chez les Volsques et les Sabins qui faisaient la guerre aux Romains. Quinctius fut créé dictateur : les légats qui lui furent envoyés le trouvèrent en train de labourer, nu, de l’autre côté du Tibre ; après avoir pris les insignes du pouvoir, il délivra du siège le consul. Il vainquit les ennemis, reçut la capitulation de leur chef et le mena devant son char le jour du triomphe. Il déposa au bout de quinze jours la dictature qu’il avait reçue et retourna au travail des champs, devenant le symbole du bon commandement, du dévouement au bien public et de l’humilité.
Avant que les retranchements ennemis eussent fermé toute issue, cinq cavaliers s’élancent au travers des postes ennemis, et vont apprendre à Rome que le consul et son armée se trouvent assiégés.
Rien de plus surprenant, rien de moins attendu ne pouvait arriver ; aussi, la crainte, la terreur furent telles qu’on eût dit que c’était la ville et non l’armée que l’on assiégeait. Le consul Nautius est rappelé ; mais, comme cet appui parut insuffisant, on songea à créer un dictateur pour soutenir l’état ébranlé. Lucius Quinctius Cincinnatus réunit tous les suffrages. Qu’ils sachent apprécier une telle leçon ! Ceux pour qui toutes les choses humaines ne sont, au prix des richesses, qu’un objet de mépris, et qui s’imaginent que les grandes dignités et la vertu ne sauraient trouver place qu’au sein de l’opulence.
L’unique espoir du peuple romain, Lucius Quinctius, cultivait, de l’autre côté du Tibre, et vis-à-vis l’endroit où se trouve à présent l’arsenal de nos navires, un champ de quatre arpents, qui porte encore aujourd’hui le nom de «Pré de Quinctius». C’est là que les députés le trouvèrent, creusant un fossé, selon les uns, et appuyé sur sa bêche, selon d’autres, derrière sa charrue; mais, ce qui est certain, occupé d’un travail champêtre. Après des salutations réciproques, ils le prièrent, en faisant des vœux pour sa prospérité, et pour celle de la république, de revêtir sa toge, et d’écouter les instructions du sénat. Surpris, il demande plusieurs fois si quelque malheur est arrivé, et ordonne à Racilia, son épouse, d’aller aussitôt chercher sa toge dans sa chaumière. L’ayant revêtue, il s’approche après avoir essuyé la poussière et la sueur de son front ; les députés le saluent dictateur, le félicitent, le pressent de se rendre à la ville, et lui exposent la terreur qui règne dans l’armée.
Déjà les Èques se préparaient à prévenir l’investissement de leurs ouvrages, lorsque l’ennemi, qu’ils assiégeaient, commença l’attaque; craignant qu’il ne se fît jour à travers leur camp, ils se détournent des travailleurs pour faire face à leur ligne intérieure, et laissent la nuit libre aux opérations de Quinctius. Ils se battirent jusqu’au jour contre le consul. Lorsque le jour parut, ils étaient déjà enfermés par la tranchée fortifiée du dictateur, et ils soutenaient à peine le combat contre une seule armée, quand celle de Quinctius reprenant les armes aussitôt que ses travaux sont achevés, attaque les retranchements. C’était une nouvelle bataille à livrer, et la première ne s’était en rien ralentie. Alors, entre deux périls qui les menacent, les Èques cessent de combattre, recourent aux prières, supplient d’un côté le dictateur, de l’autre le consul de ne pas attacher à leur destruction l’honneur de la victoire, et de leur permettre de se retirer sans armes.
Le camp des ennemis, dont il resta maître, se trouva rempli de butin de toute espèce (car il les avait renvoyés nus) ; il ne le partagea qu’entre ses soldats. Quant à ceux du consul et au consul lui-même : «Soldats, leur dit-il d’un ton de reproche, vous n’aurez point de part aux dépouilles d’un ennemi dont vous avez failli vous-mêmes devenir la proie ; et toi, Lucius Minucius, jusqu’à ce que tu montres le caractère d’un consul, c’est comme lieutenant que tu commanderas ces légions.» Minucius, aussitôt, abdique le consulat, et, docile à l’ordre du dictateur, demeure à l’armée. La supériorité dans le commandement captivait alors si facilement l’obéissance, que, plus sensible au bienfait qu’à l’humiliation, cette même armée décerna au dictateur une couronne d’or du poids d’une livre, et, à son départ, le salua comme son patron.
À Rome, le préfet Quintus Fabius convoque le sénat, lequel ordonne que Quinctius, à la tête de l’armée qu’il ramenait, entrera triomphant dans la ville. On mène devant son char les généraux ennemis, on porte devant lui les enseignes militaires ; à sa suite marchent ses soldats chargés de butin. Des festins furent, dit-on, préparés devant toutes les portes ; les convives, au milieu des chants de triomphe et des plaisanteries usitées dans ces fêtes, se mirent à la suite du char. Le même jour on décerna, d’un consentement unanime, au Tusculan Lucius Mamilius, le titre de citoyen de Rome.
Sans plus tarder, le dictateur eût abdiqué sa charge, sans les comices assemblés pour l’affaire du faux témoin Volscius, à laquelle les tribuns n’osèrent mettre empêchement, grâce à la crainte qu’inspirait le dictateur. Volscius, condamné, se retira en exil à Lanuvium. Le seizième jour Quinctius abdiqua la dictature qu’on lui avait conférée pour six mois.
Sources : - Pseudo-Aurelius Victor - Les Hommes Illustres de la Ville de Rome, chapitre XVII - Tite-Live - Histoire romaine, livre III, 26-29