Mancini-Nivernois – Fables

La perdrix et ses petits

Taisez-vous, disait la perdrix,
Un jour d’orage, à ses petits
Qui jabotaient murmurant de la pluie.
Voulez-vous, dans votre folie,
Régler le temps qu’il doit faire ici-bas ?
Et l’ordonnateur des frimas
Sait-il donc moins que vous, présomptueuse race,
Ce qu’il faut, ce qu’il ne faut pas ?
Évitez le fusil, le panneau, la tirasse,
Voilà votre important devoir ;
Remplissez-le, et laissez pleuvoir :
Songez même que c’est pour votre bien peut-être,
Qu’il pleut ainsi du matin jusqu’au soir.
Disant ces mots, la perdrix voit paraître
Un chien couchant qui marche à pas de loup.
Partons, dit-elle, et prévenons le coup.
Elle part, on la suit ; la compagnie entière
S’élève dans les airs : et dans le même instant
Certain cliquetis qu’on entend
Fait frissonner la pauvre mère ;
C’est un fusil qui se détend.
Mais par bonheur, la poudre meurtrière
Était humide, et le feu ne prit point.
Cet incident arriva bien à point
Pour le bonheur de la famille ailée,
Qui rendant grave à Dieu d’être mouillée
Reconnut qu’il ne faut se dépiter de rien ;
Que rien n’est stable dans la vie,
Et que ce qui nous contrarie
Prépare souvent notre bien.


L’avocat, le Peintre et le Philosophe

Un avocat, un peintre, un philosophe
Étaient voisins et bons amis.
Ce n’était pas gens de la même étoffe ;
Le voisinage du logis
En liaison les avait mis.
Souvent, les soirs, le trio se rassemble ;
Et comme un jour ils devisaient ensemble
Après soupé, l’avocat dit : Ma foi,
Pour aujourd’hui je suis content de moi.
Figurez-vous que j’avais deux affaires
Qu’il me fallait aux plaids faire valoir :
En point de droit toutes deux si contraires,
Que l’une était le blanc, l’autre le noir.
J’ai si bien fait, que, par même éloquence,
Le vrai, le faux, également servis,
Egalement ont charmé l’audience,
Et j’ai laissé les juges ébahis.

Bon ! dit le peintre, est-ce là ton chef-d’œuvre ?
Et moi, je fais avec mêmes couleurs
Une Vénus, ou bien une couleuvre ;
Un ciel serein, ou d’obscures vapeurs ;
J’ai tout cela sur la même palette.

Le sage alors : Vos deux propos,
Mes chers amis, donnent en peu de mots
Une leçon sûre et complète.
Vous, c’est avec mêmes pinceaux
Que vous créez objets hideux ou beaux ;
Tout sort de la même boutique.
Vous, avec même rhétorique,
Vous appuyez soit le vrai, soit le faux.
Voici comment cela s’explique :
C’est que l’esprit et les talents,
Au moral ainsi qu’au physique,
Du bien, du mal sont d’aveugles agents.
Voyons comment on les applique.


Les Deux Taureaux et le Lion

DEux taureaux cheminaient. Ils virent le lion
Venir tout droit à leur rencontre.
C’est une belle occasion
Pour que le courage se montre.
Les taureaux en eurent vraiment.
Ils s’accolent tous deux bien ferme ,
Chacun demeurant comme un terme
Tête baissée et cornes en avant.

Le lion était plus prudent
Que ses pareils ne le sont d’ordinaire.
Il voit le péril de la guerre ;
Paisiblement il passe son chemin
Sans dire mot ; et les taureaux soudain
S’en vont chacun à leur affaire.
Chacun va conter son exploit
A ses amis. Le lion qui les voit
Se séparer, prend son temps, il se jette
Sur l’un, sur l’autre ; et presque sans combat
L’un après l’autre il les abat.
Remportant victoire complète.

Dieu me préserve d’enseigner
Qu’il faut diviser pour régner !
Quelqu’un l’a dit pourtant ; c’est la maxime
D’un tyran qui se plaît au crime.
Mais si des ennemis se liguent contre vous ,
Patientez et filez doux
Tandis qu’un même intérêt les rassemble.
Un jour viendra que, divisant leurs coups
Et leurs desseins, ils seront mal ensemble ;
Et vous viendrez à bout de tous.


Les Troyens mal avisés

Après un siège de dix ans,
Il vint aux Troyens en pensée
Que ce serait chose sensée
De rendre Hélène aux assiégeants.
La ville discute l’affaire
Et la tourne dans tous les sens ;
Mais pendant qu’elle délibère
Le grand cheval entre dedans.
On ne fait pas toujours à temps
La démarche qu’il faudrait faire.