Les théologiens, toujours fidèles au projet d’aveugler les hommes, les suppôts des gouvernemens, toujours fidèles à celui de les opprimer, supposent gratuitement que la grande majorité des hommes est condamnée à la stupidité qu’entraînent les travaux purement mécaniques ou manuels : ils supposent que les artisans ne peuvent s’élever aux connaissances nécessaires pour faire valoir les droits d’hommes et de citoyens. Ne dirait-on pas que ces connaissances sont bien compliquées ? Supposons qu’on eût employé, pour éclairer les dernières classes, le quart du tems et des soins qu’on a mis à les abrutir ; supposons qu’au lieu de mettre dans leurs mains un catéchisme de métaphysique absurde et inintelligible, on en eût fait un qui eût contenu les premiers principes des droits des hommes et de leurs devoirs, fondés sur leurs droits, on serait étonné du terme où ils seraient parvenus en suivant cette route, tracée dans un bon ouvrage élémentaire. Supposez qu’au lieu de leur prêcher cette doctrine de patience, de souffrance, d’abnégation de soi-même et d’avilissement, si commode aux usurpateurs, on leur eût prêché celle de connaître leurs droits et le devoir de les défendre, on eût vu que la Nature qui a formé les hommes pour la Société leur a donné tout le bon sens nécessaire pour former une Société raisonnable.
Il avait, par grandeur d’âme, fait quelques pas vers la fortune, et par grandeur d’âme il la méprisa.
Un homme d’esprit, s’apercevant qu’il était persiflé par deux mauvais plaisans, leur dit : « Messieurs, vous vous trompez, je ne suis ni sot ni bête ; je suis entre deux. »
Une femme laide qui se pare pour se trouver avec de jeunes et jolies femmes fait, en son genre, ce que font, dans une discussion, les gens qui craignent d’avoir le dessous : ils s’efforcent de changer habilement l’état de la question. Il s’agissait de savoir quelle était la plus belle : la laide veut qu’on demande quelle est la plus riche.
Dans les grandes choses, les hommes se montrent comme il leur convient de se montrer ; dans les petites, ils se montrent comme ils sont.
On anéantit son propre caractère dans la crainte d’attirer les regards et l’attention, et on se précipite dans la nullité, pour échapper au danger d’être peint.
La vie contemplative est souvent misérable. Il faut agir davantage, penser moins, et ne pas se regarder vivre.
Les fléaux physiques, et les calamités de la nature humaine ont rendu la Société nécessaire. La Société a ajouté aux malheurs de la Nature. Les inconvéniens de la Société ont amené la nécessité du gouvernement, et le gouvernement ajoute aux malheurs de la Société. Voilà l’histoire de la nature humaine.
Telle est la misérable condition des hommes, qu’il leur faut chercher, dans la Société, des consolations aux maux de la Nature, et, dans la Nature, des consolations aux maux de la Société. Combien d’hommes n’ont trouvé, ni dans l’une ni dans l’autre, des distractions à leurs peines !
J’ai souvent remarqué dans mes lectures, que le premier mouvement de ceux qui ont fait quelque action héroïque, qui se sont livrés à quelque impression généreuse, qui ont sauvé des infortunés, couru quelque grand risque et procuré quelque grand avantage, soit au public, soit à des particuliers, j’ai, dis-je, remarqué que leur premier mouvement a été de refuser la récompense qu’on leur en offrait. Ce sentiment s’est trouvé dans le cœur des hommes les plus indigens et de la dernière classe du peuple. Quel est donc cet instinct moral qui apprend à l’homme sans éducation que la récompense de ces actions est dans le cœur de celui qui les a faites ? Il semble qu’en nous les payant, on nous les ôte.
L’Éducation doit porter sur deux bases, la morale et la prudence ; la morale, pour appuyer la vertu ; la prudence, pour vous défendre contre les vices d’autrui. En faisant pencher la balance du côté de la morale, vous ne faites que des dupes ou des martyrs ; en la faisant pencher de l’autre côté, vous faites des calculateurs égoïstes. Le principe de toute société est de se rendre justice à soi-même et aux autres. Si l’on doit aimer son prochain comme soi-même, il est au moins aussi juste de s’aimer comme son prochain.
L’honnête homme, détrompé de toutes les illusions, est l’homme par excellence. Pour peu qu’il ait d’esprit, sa société est très aimable. Il ne saurait être pédant, ne mettant d’importance à rien. Il est indulgent, parce qu’il se souvient qu’il a eu des illusions, comme ceux qui en sont encore occupés. C’est un effet de son insouciance d’être sûr dans le commerce, de ne se permettre ni redites, ni tracasseries. Si on se les permet à son égard, il les oublie ou les dédaigne. Il doit être plus gai qu’un autre, parce qu’il est constamment en état d’épigramme contre son prochain. Il est dans le vrai et rit des faux pas de ceux qui marchent à tâtons dans le faux. C’est un homme qui, d’un endroit éclairé, voit dans une chambre obscure les gestes ridicules de ceux qui s’y promènent au hasard. Il brise, en riant, les faux poids et les fausses mesures qu’on applique aux hommes et aux choses.
En renonçant au monde et à la fortune, j’ai trouvé le bonheur, le calme, la santé, même la richesse ; et, en dépit du proverbe, je m’aperçois que qui quitte la partie la gagne.
Paris, singulier pays, où il faut trente sols pour dîner, quatre francs pour prendre l’air, cent louis pour le superflu dans le nécessaire, et quatre cents louis pour n’avoir que le nécessaire dans le superflu.
Paris, ville d’amusemens, de plaisirs, etc., où les quatre cinquièmes des habitans meurent de chagrin.
On pourrait appliquer à la ville de Paris les propres termes de Sainte Thérèse, pour définir l’Enfer : l’endroit où il pue et où on n’aime point.
En France, on laisse en repos ceux qui mettent le feu, et on persécute ceux qui sonnent le tocsin.
Source : Nicolas de Chamfort - Maximes et Pensées