La statue qu’on voit sur un piédestal très élevé, et qui a été faite par Lysippe, est celle de l’homme de la plus haute stature qu’on ait vu depuis le temps des héros et la race d’hommes qui les a précédés, si toutefois il y en a eu avant eux ; certainement ce Polydamas, fils de Nicias, a été l’homme le plus grand de l’âge où nous vivons.
Scotusse, sa patrie, n’est plus habitée maintenant ; en effet, Alexandre, tyran de Phères, s’empara de cette ville, quoique en paix avec elle, et y étant entré au moment où les habitants étaient tous réunis dans le théâtre pour une assemblée, il les fit entourer par ses troupes légères et ses archers, et les fit tuer à coups de flèches ; il fit ensuite massacrer tous ceux qui étaient au-dessus de l’âge de puberté, et vendit les femmes et les enfants pour avoir de quoi payer les troupes étrangères qu’il avait à sa solde. Ce désastre des Scotussiens arriva dans la seconde année de la cent deuxième olympiade, où Dumon, de Thurium, remporta pour la seconde fois le prix ; Phrasiclide était alors archonte à Athènes.
Il n’échappa qu’un petit nombre d’habitants à ce massacre, et ils abandonnèrent de nouveau leur ville, se trouvant trop faibles pour la défendre, lorsque la fortune eut fait succomber pour la seconde fois tous les Grecs dans leur guerre contre les Macédoniens.
D’autres athlètes ont aussi remporté des victoires célèbres au pancrace, mais outre celles-là, en voici d’un autre genre que Polydamas a remportées. La partie montueuse de la Thrace qui entoure le fleuve Nestus, à travers le pays des Abdéritains, produit des bêtes féroces, et particulièrement des lions. Ces animaux se jetèrent sur l’armée de Xerxès, et déchirèrent les chameaux qui portaient les vivres. Les lions s’écartent souvent jusques dans les pays adjacents à l’Olympe (on sait que cette montagne regarde d’un côté la Macédoine et de l’autre la Thessalie et le fleuve Pénée) ; c’est dans ces environs de l’Olympe que Polydamas, sans aucune arme, tua un lion grand et vigoureux ; il se porta à cette action téméraire par envie de rivaliser avec Hercule, qui avait dompté le lion de Némée, selon la tradition. Voici une autre preuve non moins étonnante de la force de Polydamas.
En entrant dans un troupeau de bœufs, il saisit le taureau le plus grand et le plus farouche par l’un des pieds de derrière, et le tenant par la corne, il ne le lâcha pas, quelques sauts et quelques efforts qu’il fît ; de sorte que le taureau ne parvint enfin à se dégager qu’en employant toutes ses forces, et en laissant la corne de son pied dans la main de Polydamas.
On dit que celui-ci arrêtait un char, malgré tous les efforts du conducteur pour pousser ses chevaux en avant, et n’avait besoin que de saisir d’une main le derrière du char. Darius, fils naturel d’Artaxerxés, qui, secondé par les Perses, avait détrôné Sogdianus, fils légitime d’Artaxerxés, et s’était fait roi à sa place, ayant entendu parler des actions de Polydamas, lui envoya des gens qui l’engagèrent par des promesses à venir à Suse, et à paraître devant lui.
À son arrivée, Polydamas ayant été défié par trois de ces Perses qu’on nomme les Immortels, il les tua tous trois, quoiqu’ils l’eussent attaqué ensemble. De toutes les actions dont je viens de parler, les unes sont sculptées sur la base de sa statue à Olympie, les autres sont rapportées dans l’inscription. Ce qui a été prédit par Homère à ceux qui comptent trop sur leurs forces, devait arriver à Polydamas.
Étant entré au moment de la grande chaleur avec quelques-uns de ses compagnons de table dans une caverne, le malheur voulut que la voûte s’entrouvrit : il était évident qu’elle ne tarderait point à tomber ; dès qu’on s’aperçut du danger dont on était menacé, tous prirent la fuite, hors Polydamas qui voulut rester ; il étendit les mains comme pour soutenir la caverne, persuadé que le poids de la montagne ne serait pas au-dessus de ses forces ; et ce fut là qu’il trouva la fin de ses jours.
Source : Pausanias - Description de la Grèce, livre VI, chapitre V