Stratonice et Antiochus – La maladie d’amour

Parlons maintenant du temple même et de sa fondation, comment et par qui il a été bâti. On dit que l’édifice actuel n’est pas celui qui fut originairement élevé. Celui-ci fut renversé par le temps, et l’édifice qui existe de nos jours est l’ouvrage de Stratonice, reine des Assyriens. Or, cette Stratonice me parait être la même que celle dont son beau-fils devint amoureux, passion qui fut découverte par l’adresse de son médecin. Malade et ne sachant que faire à un mal dont il rougissait, le jeune homme gardait le silence. Il était couché sans douleur apparente ; cependant son teint était changé, son corps maigrissait à vue d’œil. Le médecin, voyant qu’aucune maladie ne se déclarait, devina que c’était de l’amour. L’amour secret a plusieurs symptômes : yeux languissants, voix altérée, pâleur et larmes. Éclairé par ces indices, voici ce qu’il fait : il met sa main droite sur le cœur du malade et appelle toutes les personnes de la maison ; elles entrent, et le jeune homme demeure parfaitement tranquille ; mais à l’arrivée de sa belle-mère il change de couleur, une sueur froide, un frisson s’empare de lui, son cœur palpite. Ces mouvements révèlent sa passion au médecin. Voici comment il le guérit.

Il fait venir le père du jeune homme, vivement tourmenté pour son fils. « Cette maladie, dit-il, n’est point une maladie, c’est un coupable désir. Votre fils ne ressent aucune douleur, un fol amour s’est emparé de lui. Il veut avoir un objet qu’il n’obtiendra pas : il est amoureux de ma femme, et certes je ne la lui céderai jamais. » Ces paroles n’étaient qu’une ruse prudente. Le père le supplie : « Par votre sagesse, par votre art médical s’écrie-t-il, ne laissez pas mourir mon fils ! C’est malgré lui que cette passion est entrée dans son cœur. Sa maladie est involontaire ; n’allez pas, par votre jalousie, plonger un royaume entier dans le deuil ; médecin, ne laissez pas imputer cette mort à la médecine. » Ainsi suppliait-il, ignorant la ruse.

L’autre répond : « Ce que vous me demandez est injuste ; vous voulez m’enlever ma femme et me faire violence à moi, votre médecin. Eh ! que feriez-vous donc si ce jeune homme était amoureux de votre femme, vous qui me demandez ce sacrifice ? » Le père l’assure qu’il ne consentirait jamais à conserver sa femme, s’il fallait perdre son fils, celui-ci aimât-il sa belle-mère. La perte d’une épouse est-elle comparable à celle d’un fils ? A peine le médecin a-t-il entendu ces mots : « Pourquoi donc alors tant d’instances ? dit-il. C’est de votre femme que ce jeune homme est amoureux. Ce que je vous disais n’était qu’une ruse. »

Le roi se laisse persuader à ce discours. Il cède à son fils sa femme et son empire, et se retire dans la Babylonie où il fonde une ville de son nom sur le bord de l’Euphrate. Il y mourut. C’est ainsi que le médecin devina et guérit l’amour du jeune prince.

Source : Lucien de Samosate - Sur la déesse syrienne