Un des traits les plus admirables de son caractère, c’est que, tandis que les rois, les gouverneurs et les villes le comblaient de présents magnifiques, il ne prit jamais rien pour lui et ne changea rien ni à la manière de vivre ni aux vêtements des Spartiates. II se contenta de la maison qu’avait habitée Eurysthène, l’auteur de sa race ; on n’y voyait en entrant rien qui annonçât le luxe ou le plaisir ; tout, au contraire, y témoignait la patience et la frugalité. Elle était en effet meublée de telle sorte que rien ne la distinguait de l’habitation du plus pauvre particulier.
Si la nature s’était montrée libérale pour ce grand homme du côté des qualités de l’âme, il la trouva malveillante pour les dons du corps : en effet, il était de petite taille, de chétive apparence, et boiteux d’un pied. Cette infirmité le rendait quelque peu difforme : ceux qui le voyaient sans le connaître le méprisaient ; mais ceux qui connaissaient ses grandes qualités ne pouvaient assez l’admirer. Ainsi, lorsqu’à l’âge de quatre-vingts ans il alla en Égypte au secours de Tachos, il s’était couché sur le rivage avec les siens, sans aucun abri, n’ayant pour lit que la terre recouverte de fourrage sur lequel on avait simplement jeté des peaux ; ses compagnons s’étaient couchés près de lui, vêtus d’habits grossiers et usés, et leur costume, loin d’annoncer un roi parmi eux, faisait plutôt soupçonner la présence d’un homme peu opulent. La nouvelle de son arrivée étant parvenue aux officiers du roi, on s’empressa de lui apporter des présents de toute sorte. Ceux qui en étaient chargés demandèrent Agésilas, et on eut peine à leur faire croire que c’était un de ceux qui se trouvaient couchés là. Ils lui remirent au nom du roi les objets qu’ils avaient apportés ; mais il n’accepta rien que des quartiers de veau et d’autres provisions du même genre, qui lui étaient nécessaires pour le moment ; il distribua à ses esclaves les parfums, les couronnes, le dessert, et ordonna de remporter le reste. Les barbares le méprisèrent plus encore pour cela, pensant que le choix qu’il avait fait venait de son ignorance des bonnes choses. Il revenait d’Égypte avec deux cent vingt talents que le roi Nectanabis lui avait donnés et qu’il voulait offrir à sa patrie ; arrivé au port de Ménélas, qui est situé entre l’Égypte et la Cyrénaïque, il tomba malade et mourut. Ses amis, afin de le transporter plus facilement à Sparte, l’enduisirent de cire, à défaut de miel, et le ramenèrent ainsi dans son pays.
Source : Cornélius Népos - Les Vies des grands capitaines, Agésilas