Viriathe – La Terreur des Romains

Peu après, ceux qui avaient échappé à la perfidie de Lucullus et de Galba, se rassemblèrent au nombre de dix mille et attaquèrent la Turditanie. Gaius Vetilius marcha contre eux, amenant une nouvelle armée de Rome et prenant aussi les soldats qui se trouvaient déjà en Espagne, de sorte qu’il avait environ dix mille hommes. Il tomba sur leurs fourrageurs, en tua un grand nombre, et accula les autres dans un endroit où, s’ils y restaient, ils risquaient de périr de famine, et s’ils en sortaient, de tomber aux mains des Romains. Dans cette situation, ils envoyèrent des messagers à Vetilius avec des branches d’olivier, demandant une terre où s’installer, et décidant, à partir de ce moment d’obéir aux Romains en toutes choses. Il promit de leur donner des terres, et un accord était déjà presque conclu quand Viriathe, qui avait échappé à la perfidie de Galba et était alors parmi eux, leur rappela la mauvaise foi des Romains, combien de fois ces derniers avaient attaqué en violation de tous leurs serments, et que cette armée tout entière était composée d’hommes qui avaient échappé aux parjures de Galba et de Lucullus. S’ils lui obéissaient, il leur montrerait une façon sûre de quitter cet endroit.

Enhardis par les nouveaux espoirs qu’il leur donnait, ils le choisirent comme chef. Il les rangea en ligne de bataille comme s’il avait l’intention de combattre, mais il leur donna l’ordre, dès que lui-même serait monté à cheval, de se disperser dans toutes les directions et de se rendre par différents itinéraires jusqu’à la ville de Tribola, et de l’y attendre. Il choisit mille hommes seulement à qui il demanda de rester avec lui. Ces dispositions étant prises, tous se sauvèrent dès que Viriathe monta sur son cheval. Vetilius, craignant de poursuivre ceux qui s’étaient dispersés dans toutes les directions, se retourna vers Viriathe qui se tenait là, attendant apparemment le moment d’attaquer, et lui offrait le combat. Ce dernier, ayant des chevaux très rapides, harcelait les Romains en attaquant, puis en se retirant, puis en attaquant de nouveau, se retirant, et attaquant encore. De cette façon, il occupa toute la journée et le lendemain à tourner en rond autour du même champ de bataille. Quand il supposa que les autres avaient réussi leur évasion, il se hâta de nuit par des chemins détournés, et arriva à Tribola grâce à ses chevaux agiles. Les Romains ne purent le poursuivre au même rythme en raison du poids de leur armure, de leur ignorance des routes et de l’infériorité de leurs chevaux. Voilà comment Viriathe, d’une façon inattendue, sortit son armée d’une situation désespérée. Cet exploit, connu par les diverses tribus limitrophes, lui apporta la renommée, et beaucoup vinrent renforcer son armée, ce qui lui permit de faire la guerre aux Romains pendant huit ans.

Il est de mon intention de regrouper cette guerre contre Viriathe, harcelant tellement les Romains et les gênant encore plus, et de reprendre plus loin les autres événements qui se produisirent en Espagne durant cette période. Vetilius le poursuivit et le rejoignit à Tribola. Viriathe tendit d’abord une embuscade dans des taillis denses, puis se retira jusqu’à ce que Vetilius traversât l’endroit. Alors, il fit demi-tour, et ceux qui étaient en embuscade sortirent des taillis. Des deux côtés, ils commencèrent à tuer les Romains, à les amener au bord des falaises, et à les faire prisonniers. Vetilius lui-même fut fait prisonnier, et l’homme qui le captura, ne sachant pas qui il était, mais voyant qu’il était vieux et gros, et le jugeant sans valeur, le tua. Des dix mille Romains, six mille se retirèrent avec difficulté vers la ville de Carpessos sur le bord de la mer, qui, selon moi, était appelée autrefois par les Grecs Tartessos, et qui eut comme roi Arganthonius, qui, dit-on, vécut cent cinquante ans. Les soldats, qui s’étaient échappés à Carpessos, furent postés sur les murs de la ville par le questeur qui accompagnait Vetilius, mais ils étaient démoralisés. Après avoir demandé et obtenu cinq mille alliés des Belli et des Titthi, il les envoya contre Viriathe qui les tua tous, de sorte qu’il n’y en eût pas un seul pour raconter ce qui s’était passé. Ensuite, le questeur ne fit plus rien en attendant de l’aide de Rome.


Tout en suivant Viriathe, Servilianus fit le siège d’Erisana, une de ses villes. Viriathe entra dans la ville de nuit, et au point du jour, attaqua ceux qui travaillaient dans les fossés, les contraignant à lâcher leurs pioches et à s’enfuir. Il battit de la même manière le reste de l’armée, qui avait été rangée en ordre de bataille par Servilianus, la poursuivit, et amena les Romains au milieu de falaises d’où ils ne pouvaient s’échapper. Viriathe ne fut pas arrogant à l’heure de la victoire, mais vit en celle-ci une occasion favorable de terminer la guerre, et de gagner la gratitude des Romains, il fit un accord avec eux, et cet accord fut ratifié à Rome. Viriathe fut déclaré ami du peuple romain, et on décréta que tous ses partisans garderaient la terre qu’ils occupaient alors. Ainsi, la guerre contre Viriathe, qui fut si pénible aux Romains, semblait se terminer d’une manière satisfaisante.

La paix ne fut pas de la longue durée. Cæpio, frère du Servilianus qui l’avait conclue, et son successeur, n’étaient pas d’accord avec ce traité, et écrivirent à Rome qu’il était vraiment indigne de la dignité du peuple romain. Le Sénat l’autorisa d’abord à gêner Viriathe comme il le voulait, s’il le faisait secrètement. Il persista à envoyer sans arrêt des lettres. Il obtint de rompre le traité et de reprendre ouvertement les hostilités contre Viriathe. Quand la guerre fut ouvertement déclarée, Cæpio prit la ville d’Arsa que Viriathe avait abandonnée, et poursuivit Viriathe, qui s’était sauvé et avait détruit tout sur sa route, jusqu’à la Carpetanie, les forces romaines étant beaucoup plus fortes que les siennes. Viriathe considérant qu’il était imprudent de s’engager dans une bataille à cause de l’infériorité de son armée, ordonna à la plus grande partie de son armée de faire retraite par un défilé caché alors qu’il déployait le reste sur une colline comme s’il avait l’intention de combattre. Quand il jugea que ceux qu’il avait fait partir auparavant avait atteint un endroit sûr, il se hâta vers eux avec un tel mépris de l’ennemi et une telle rapidité que ses poursuivants ne comprirent pas par où il était allé. Cæpio se retourna contre les Vettons et les Callaiques et pilla leurs champs.


Viriathe envoya ses plus fidèles amis Audax, Ditalco et Minurus chez Cæpio pour négocier une paix. Ces derniers, subornés par de grands cadeaux et de nombreuses promesses, acceptèrent d’assassiner Viriathe. Voici comment ils s’y prirent. Viriathe, à cause de ses soucis et de son activité excessive, dormait peu, et la plupart du temps, dormait avec son armure, de sorte qu’une fois réveillé, il était prêt à toute éventualité. C’est pourquoi, il autorisait ses amis à lui rendre visite la nuit. Tirant profit de cette coutume, ceux qui complotaient avec Audax, au moment où ils montaient la garde, entrèrent dans sa tente comme s’ils devaient lui faire part d’une urgence, juste au moment où il s’endormait, et le tuèrent en lui enfonçant un poignard dans la gorge, qui était la seule partie de son corps non protégée par l’armure. La nature de la blessure fut telle que personne ne soupçonna ce qui s’était passé. Les meurtriers s’enfuirent chez Cæpio, et demandèrent leur récompense. Aussitôt, il leur donna la permission de garder en toute sécurité ce qu’ils avaient déjà reçu ; quant au reste de leurs demandes, il s’en référa à Rome. Quand le jour se leva, les serviteurs de Viriathe et le reste de l’armée pensèrent qu’il se reposait toujours et s’étonnaient de ce repos exceptionnellement long, jusqu’à ce que certains d’entre eux découvrissent qu’il était mort dans son armure. Aussitôt, ce furent deuil et lamentations dans tout le camp, tous pleuraient, craignant pour leur propre sûreté, pensant aux dangers qu’ils couraient, et voyant de quel général ils étaient privés. Mais leur plus grande affliction était de ne pas trouver les auteurs du crime.

Ils parèrent le corps de Viriathe de vêtements splendides, et le brûlèrent sur un bûcher élevé. On offrit beaucoup de sacrifices en son honneur. Les cavaliers et les fantassins revêtus de leurs armures marchaient autour de lui, chantant ses éloges à la mode barbare. Ils continuèrent jusqu’à ce que le feu s’éteignît. Quand les obsèques se terminèrent, ils organisèrent des jeux de gladiateurs sur sa tombe, si grand était le regret de Viriathe après sa mort, un homme, bien que Barbare, doté des plus grandes qualités militaires, toujours le premier dans le danger, et le plus équitable dans la distribution du butin. Jamais il ne consentit à prendre plus que sa part, même lorsque ses amis le lui demandaient, mais ce qu’il obtenait, il le distribuait aux plus courageux. C’est pourquoi, bien que ce soit très difficile d’y arriver et qu’aucun commandant n’y arrive facilement, en huit années de cette guerre, avec une armée composée de diverses tribus, il n’y eut chez lui aucune sédition, les soldats lui obéissant toujours et toujours prêts au combat. Après sa mort, ils prirent pour général un nommé Tantalos, et ils attaquèrent Sagonte, la ville qu’Hannibal avait détruite, reconstruite et appelée Carthage d’après son propre pays. Quand ils furent repoussés de là, et comme ils traversaient le fleuve Bætis, Cæpio les serra tellement que Tantalos épuisé rendit son armée à Cæpio à condition qu’ils fussent traités en sujets. Ce dernier prit toutes leurs armes, et leur donna suffisamment de terre pour qu’ils ne dussent plus voler par manque de ressources. Ainsi se termina la guerre contre Viriathe.

Source : Appien - Ibérique (61-75, extraits)