Souviens-toi, dans les moments difficiles, de garder une âme égale, et, dans les événements heureux, d’éviter la joie insolente, car tu es destiné à mourir, Dellius, que ta vie n’ait été qu’une longue suite de peines, ou que, passant les jours de fête en fête, tu te sois souvent réjoui, allongé un peu à l’écart sur l’herbe, d’un vin de Falerne du meilleur cru.
Dans quel but l’immense pin et le blanc peuplier se plaisent-ils à joindre les ombres hospitalières de leurs rameaux ? Et l’eau vive de ce ruisseau serpentin, pourquoi fuit-elle en murmurant ? Ne serait-ce pas pour t’inviter à faire apporter là, les vins, les parfums et les roses au charme trop fugace tant que ta condition, ton âge et le déroulement du fil noir des trois sœurs te le permettent encore ?
Tu devras les céder tous ces pâturages boisés achetés à grands frais, ta maison et ton domaine baigné par le Tibre jaune. Oui, tu les cèderas bientôt et c’est un héritier qui prendra possession de toutes ces richesses accumulées en si grande quantité.
Né riche et de l’antique race d’Inachus ou pauvre et de basse extraction, aucune différence pour qui ne demeure qu’un instant sur la terre, victime inévitable de l’implacable Orcus.
Tous, nous sommes entraînés vers les mêmes lieux. Tous, nous avons notre destinée agitée dans l’urne et, un peu plus tôt, un peu plus tard, elle en sera tirée, pour nous imposer la traversée dans la barque de l’éternel exil.
Source : Horace - Ode II, 3, À Dellius