Enfant, je n’avais pas souci de plaire au monde,
Amoureux par instinct des coteaux et des monts.
Or, tombé par mégarde au filet d’illusion,
Il y a trente années que je les abandonne.
Captif, un oiseau songe à ses forêts d’hier,
Un poisson des bassins à son vieil océan.
Aux limites du sud je défriche la terre,
Je rentre malhabile aux jardins et aux champs !
Un domaine carré, dix arpents de terrain,
Et bien assez d’espace sous mon toit de chaume,
L’orme et puis le saule ombragent mon auvent,
Les pêchers, les pruniers tamisent l’avant-cour.
Vague, flou, au lointain, le village des hommes,
Une fumée légère ondulant des foyers,
Les aboiements d’un chien dans l’impasse profonde
Et le coq s’écriant au sommet d’un mûrier.
Ma cour débarrassée des poussières du monde,
J’ai dans ma chambre vide un tas de libertés.
Confiné trop longtemps à l’étroit d’une cage,
Je retourne à présent à ma vie spontanée !
La campagne est aride en affaires humaines,
Et l’on n’y entends guère la rumeur des chars.
A l’abri du soleil sous ma porte grossière,
Ma chambre vide éteint le souci dérisoire.
Ainsi, quand du hameau des visiteur s’en viennent,
Écartant l’herbe haute, ils ne font que passer.
Durant nos entrevues, pas de vaines paroles,
Nous parlons seulement de chanvre et de mûrier.
Mon chanvre et mon mûrier jour après jour grandissent,
Jour après jour ma terre gagne plus d’ampleur ;
Mais je crains sans répit que la grêle n’arrive
Flétrir sans distinguer l’herbe folle et la fleur.
J’ai semé des pois aux pieds des monts du sud,
L’herbe folle est prospère mais les pousses sont rares.
Levé de grand matin, je raisonne ma friche,
Et la houe sur l’épaule m’en retourne au soir.
Le chemin est étroit parmi les herbes hautes
Et la rosée nocturne imprègne mon veston ;
Imprègne mon veston, cela m’est bien égal,
Mais ne t’avise pas de tromper mon espoir !
Depuis longtemps lassé d’arpenter les hauteurs,
Je m’adonne aux plaisirs des forets et des champs ;
Pour la première fois j’escorte le jeune age,
Taillant l’herbe, fouler les vestiges d’antan.
Nous marchons, hésitants, au milieu des parcelles,
Songeant à ceux d’hier qui vécurent ici ;
Des âtres et des puits demeurent les vestiges,
Des bambous et des mûriers que les souches pourries.
Or j’aperçois un homme amassant les branchages :
« Ces villageois, dis-moi, où sont-ils donc partis ? »
Me fixant du regard, le fagotier rétorque :
« Il n’en reste pas un, tous hélas ont péri. »
« Une génération, villes et règnes tombent » ;
Comme ces mots résonnent ici fortement !
L’existence varie, pareille à un mirage,
Avant de retourner au vide et au néant.
Sur ma canne, esseulé, je m’en retourne amer
Par des voies sinuant à travers les fourrés ;
Dans un torrent des monts, superficiel et clair,
Par chance je pourrai me purifier les pieds,
Je décante l’alcool nouvellement mûri,
Autour d’une volaille invite mes voisins.
Le jour sombre, la chambre est plongée dans le noir,
Des broussailles nous font d’éclatantes chandelles ;
Vient l’ivresse, on maudit l’éphémère du soir,
Quand l’aurore déjà reparaît dans le ciel.
Source : Tao Yuanming - Œuvres complètes