C’était sur le bord escarpé
D’un vase où l’art chinois étalait ses merveilles,
Que Sélima pensive en frôlant ses oreilles,
Se prélassait non loin d’un canapé.
Elle regardait la caline
Du lac la gentille piscine.
Emblême de contentement
Son éloquente queue a révélé sa joie ;
Sa patte de velours, doucement se déploie,
L’eau la reflète — et son miaulement
Semble dire : « Que je suis belle !
Que je suis belle damoiselle ! »
Elle se mirerait encor…
Mais voilà qu’à ses yeux sous des formes étranges
Divinités du lac apparaissent deux anges ;
Leur armure est d’écailles sur fond d’or.
Sans oublier son point de mire,
Notre Sélima les admire.
Et puis elle étend tout d’abord,
Le poil de sa moustache, et puis après la patte,
Et puis se rapetisse ainsi qu’un acrobate,
Et puis s’allonge, et cela jusqu’au bord,
Pour attraper si belle proie
Elle cherche à se frayer voie.
Du poisson !… pour un tel butin
Chatte ferait ce que pour de l’or fait la femme !…
Elle allongea les doigts, soit dit sans épigramme
Sur le rebord… Et puis dans le bassin
Tomba tête en avant… le Diable
Rit d’un rire incommensurable !
Huit fois elle surgit de l’eau,
Huit fois elle invoqua Neptune et les Naïades,
Huit fois en dépit d’elle, elle but huit rasades,
Huit fois enfin elle appela son beau,
Rien ne vint – ni Tom, ni Suzanne !…
Il lui manqua même sœur Anne !…
Apprenez donc, jeunes Beautés
Qu’un faux pas n’est jamais fait qu’avec une entorse,
Qu’audace est bien souvent prélude de divorce,
Que tous désirs ne sont pas voluptés,
Et que le clinquant, d’aventure,
N’a de l’or que la couverture.
Source : Thomas Gray - Ode. Sur la mort d’une chatte favorite noyée dans un bassin de dorades chinoises, 1727