Quand nous n’avons besoin que de pain, que d’un gîte, d’un vêtement simple, des premiers mets venus, voilà que la richesse fondant sur nous remplit notre cœur de convoitise. Nous voulons de l’or, de l’argent, de l’ivoire, des émeraudes, des meutes de chiens, des chevaux. C’est sur des objets aussi rares qu’inutiles, aussi difficiles à posséder qu’à se procurer, que la richesse nous fait porter nos désirs, au lieu de permettre que nous nous bornions au nécessaire. Du suffisant personne n’est pauvre. Jamais homme n’emprunta de l’argent à intérêt pour acheter de la farine, du fromage, du pain ou des olives. Mais l’un s’endette pour bâtir une maison magnifique, l’autre pour acquérir un plant d’oliviers attenant à sa terre, ou bien des champs de blé, des vignobles, ou bien des mulets de Gaule, des chevaux d’attelage « destinés à traîner de vides chariots ».
Or ces dépenses les ont plongés dans un abîme de contrats, d’intérêts ruineux, d’emprunts hypothécaires. Après quoi, comme ceux qui, continuant de boire quand ils n’ont plus soif, de manger quand ils n’ont plus faim, vomissent ce qu’ils avaient pris pour apaiser leur faim et leur soif, de même ces acquéreurs de biens inutiles et superflus ne conservent pas même le nécessaire.
Source : Plutarque - De l'amour des richesses, chapitre II