L’évidence de notre propre réalité et de celle du monde ambiant nous a fait affirmer que la cause en devait être substantielle. Les phénomènes ne nous donnent pas, il est vrai, la connaissance expérimentale du principe dont l’univers est constitué ; mais nous savons qu’il est multiple, puisqu’il est agissant ; et l’unité de ce nombre est l’atome dont l’individualité restera toujours inaccessible. La raison seule le conçoit au delà de toute observation sensible. Tout ce que nous savons de lui est qu’il existe, qu’il est étendu, indivisible, perpétuellement actif, et qu’il possède tous les attributs nécessaires à sa fonction de cause.
En raison de la pondération parfaite où se trouvent les atomes dans l’Océan cosmique, aucun phénomène ne témoignerait de leur présence, s’ils n’étaient pas impressionnés par des vibrations transmises. L’éther équilibré égale donc, en dernière analyse, le repos absolu. C’est la nuit primordiale, contenant en puissance toutes les réalités. Ce sont les ténèbres fécondes ; commencement et fin de toutes les manifestations de l’absolu ; sombre abîme d’où s’échappent les mondes, jusqu’au jour mystérieux où il en recueillera les débris.
Mais, aussitôt que se présente la possibilité d’action, ces éléments agissent spontanément, et s’associent. Ils s’engagent dans des agglomérations sphéroïdales dont le premier indice est une vibration lumineuse, suivie bientôt de l’apparition des eaux cosmiques. Selon M. Béron, notre globe n’était primitivement qu’une réunion sphérique de molécules aqueuses, précipitant à son centre les reliquats minéraux des phénomènes vitaux qui se développèrent à sa surface : cellule gigantesque dont toutes les parties étaient actives, et qui engendra de ses propres éléments toutes les fédérations particulières.
La conséquence de cette activité incessante est en effet l’apparition de la matière, de cet autre équilibre dont la rupture déterminerait également de puissants phénomènes cosmiques. Si, par une cause inconnue, notre système solaire était désagrégé, ses atomes constituants, devenus par l’indépendance immédiatement actifs, brilleraient dans l’espace d’une lumière ineffable qui annoncerait au loin une vaste destruction, et l’espérance d’un monde nouveau.
La substance se révèle donc à notre esprit par cinq modes nettement caractérisés :
- Les atomes isolés dans les flots de l’éther, et qui, bien que possédant en puissance virtuelle tous les phénomènes, ne se manifestent par aucun acte : solitude ténébreuse et infinie dont nous allons retrouver la symbolisation.
- La vibration immense qui secoua çà et là l’énergie latente, et détermina l’embrasement d’une partie de l’étendue : lumière incréée ; feu artiste des orientaux ; origine des nébuleuses ; et cause seconde de l’univers.
- L’état sphéroïdal de la masse lumineuse devenue aqueuse par l’activité même de ses éléments. C’est l’œuf générateur ; l’œuf d’or des indiens ; théâtre futur des révélations successives.
- L’état phénoménal ou la période actuelle, représenté dans les plus anciennes théogonies par une divinité suprême.
- La désagrégation de tout un groupe stellaire ; et le retour de ses éléments à l’infini de l’éther dans lequel ils attendront l’heure d’une nouvelle activité.
Combien de siècles ne durent-ils pas s’amonceler avant que l’esprit humain pût atteindre une telle connaissance de la cause première ? Combien d’études, de recherches, et de travaux assidus ? Aussi quelle ne fut pas notre surprise, en constatant que ce fut précisément cette doctrine qui servit de base à toutes les religions antiques, et que les apôtres Atlantes transportèrent jusqu’aux confins de l’Asie ! Plus on remonte dans la série des siècles, plus le dogme de l’identité s’accuse nettement ; et n’est-il pas admirable de voir la substance et ses lois être définitivement reconnues, à une époque qui se perd dans la nuit des temps ! Mais, avant de poursuivre, nous devons en finir avec les objections prétendues philosophiques que les spiritualistes opposent encore à cette conception de l’absolu.
« Il nous est impossible, disent-ils, de concevoir la cause nécessaire comme une substance, c’est-à-dire comme un être également force et matière. Nous devons donc refuser l’intelligence et la puissance aux atomes qui, tout petits qu’ils soient, n’en sont pas moins matériels. »
Nous pourrions leur répondre qu’ils accordent bien sans contestation les mêmes facultés à leur principe hypothétique qui, même en comparaison de la petitesse incalculable de l’atome, n’est, dans sa privation d’étendue, qu’un véritable néant, et qu’il est toujours moins difficile de placer l’intelligence et la puissance dans une réalité substantielle, quelque petite qu’elle soit, que dans une entité immatérielle, sorte de point sans dimension. Mais il ne s’agit pas ici de rechercher ce que nous concevons plus ou moins facilement, et d’introduire dans le débat une discussion qu’il ne comporte pas. Par cela seul quelle est première, une cause ne peut ni ne doit relever de la raison ; et vouloir la rendre intelligible serait un véritable contre-sens. Qu’elle soit simple ou multiple, elle est une cause sans cause antérieure à elle-même, et dont il serait impossible de donner l’explication, sans détruire sa qualité de cause première. Il n’est pas d’être pensant capable de donner cette explication puis qu’elle n’existe pas; et la cause première de l’univers ne pourrait même donner raison de sa propre existence, attendu que son existence n’a pas de raison.
Non-seulement une cause première existe par elle-même ; mais elle est nécessaire, c’est-à-dire qu’elle ne peut pas ne pas être. La nécessité étant la plus haute formule de l’affirmation, puisqu’elle détruit la possibilité de la négation, ne convient qu’à l’être éternel et absolu dont il est impossible de donner une explication, puisqu’il n’en a pas, et que la propriété caractéristique d’une cause première, qu’elle soit matérielle ou immatérielle, simple ou multiple, est de n’avoir pas d’autre explication à donner de son existence que son existence elle-même. Mais, si la réalité du premier principe ne relève pas de l’intelligence, il ne saurait en être de même de ses manifestations qui ne peuvent se produire qu’en vertu des propriétés qui lui sont inhérentes, puisque la raison d’un effet doit se trouver dans la cause ; et, s’il n’y a pas de raison pour sa cause première, il n’y a pas d’effet, quel qu’il soit, qui n’ait sa raison. Il en résulte que les causes premières, se posant à priori comme nécessaires, ne sont en dehors de toute explication qu’en ce qui regarde leurs existences et leurs attributs, mais non, quant à leurs actions.
Dès l’instant qu’une cause produit un effet, celui-ci implique nécessairement un rapport entre sa cause et lui ; et tout rapport relève du raisonnement. C’est en partant des effets qu’il faut chercher, par leurs rapports logiques avec leur cause, la connaissance à posteriori de cette cause qui doit, non-seulement expliquer l’effet, mais le contenir. La véritable explication de l’univers doit ainsi donner raison de ses modes successifs, et révéler les lois qui président à leur apparition. Elle doit, ne s’appuyant que sur les conséquences nécessaires des attributs de leur principe, expliquer la totalité des faits qui tous doivent être rationnels.
Puisque toutes les solutions proposées sont également mystérieuses, nous ne devons donc tenir pour certaine que celle qui rend compte de ces faits, et possède en son essence la réalité de tous les êtres. Nous ne devons accepter que celle qui renferme en elle-même le principe de ce qu’elle engendre, et qui, n’étant pas produite, existe de toute éternité. Seule, l’étude de l’univers peut, encore une fois, nous servir de guide, puisqu’il doit être contenu dans sa cause, et que, dans le cas contraire, nous sommes en droit d’affirmer que la solution proposée est un non sens.
Source : Roisel - Études anté-historiques. Les Atlantes, chapitre VIII (1874)