« Nulle loi humaine n’est d’aucune validité si elle est contraire à la loi de la nature, et telles d’entre les lois humaines qui sont valides tirent toute leur force et toute leur autorité, médiatement ou immédiatement, de cet original. » Ainsi écrit Blackstone (Sir William Blackstone, (1723-1780), légiste, auteur de Commentaries on the Laws of England, Commentaires sur les Lois de l’Angleterre), dont c’est l’honneur d’avoir à ce point dépassé les idées de son temps, – et vraiment, nous pouvons dire de notre temps. Un bon antidote, cela, contre ces superstitions politiques qui prévalent si largement. Un bon frein au sentiment d’adoration du pouvoir qui nous égare encore en nous conduisant à exagérer les prérogatives des gouvernements constitutionnels , comme jadis celles des monarques. Que les hommes sachent qu’une puissance législative n’est pas « notre Dieu sur la terre », quoique par l’autorité qu’ils lui attribuent et par les choses qu’ils attendent d’elle, il semblerait qu’ils imaginassent ainsi. Mieux, qu’ils sachent que c’est une institution servant à des fins purement temporaires, et dont le pouvoir, quand il n’est pas volé, est, tout au moins, emprunté. Qui plus est, en vérité, n’avons-nous pas vu que le gouvernement est essentiellement immoral ? N’est-il pas la postérité du mal, portant autour d’elle toutes les marques de son origine ? N’existe-t-il pas parce que le crime existe ? N’est-il pas fort, ou, comme nous disons, despotique, quand le crime est grand ? N’y a-t-il pas plus de liberté – c’est-à-dire moins de gouvernement – à mesure que le crime diminue ? Et le gouvernement ne doit-il pas cesser quand le crime cesse, par le manque même d’objets sur lesquels accomplir sa fonction ?
Non seulement le pouvoir des maîtres existe à cause du mal, mais il existe par le mal. La violence est employée pour le maintenir et toute violence entraîne criminalité. Soldats, policiers et geôliers, épées, bâtons et chaînes sont des instruments pour infliger de la peine, et toute infliction de peine est, par essence, injuste. L’État emploie les armes du mal pour subjuguer le mal et est contaminé également par les objets sur lesquels il agit et par les moyens à l’aide desquels il opère. La moralité ne peut le reconnaître, car la moralité, étant simplement une expression de la loi parfaite, ne peut donner nul appui à aucune chose croissant hors de cette loi et ne subsistant que par les violations qu’elle en fait. C’est pourquoi l’autorité législative ne peut jamais être morale, – doit toujours être seulement conventionnelle. Il y a, pour cette raison, une certaine inconséquence dans l’essai de déterminer la position, la structure et la conduite justes d’un gouvernement par appel aux premiers principes de l’équité. Car, comme il vient d’être démontré, les actes d’une institution qui est imparfaite, à la fois par nature et par origine, ne peuvent être faits pour s’accorder avec la loi parfaite. Tout ce que nous pouvons faire est d’établir : premièrement, dans quelle attitude une puissance législative doit demeurer à l’égard de la communauté pour éviter d’être, par sa seule existence, l’injustice personnifiée ; deuxièmement, de quelle manière elle doit être constituée afin de se montrer le moins possible en opposition avec la loi morale ; et troisièmement, à quelle sphère ses actions doivent être limitées pour l’empêcher de multiplier ces violations de l’équité pour la prévention desquelles elle est instituée. La première condition à laquelle on doit se conformer avant qu’une puissance législative puisse être établie sans violer la loi d’égale liberté est la reconnaissance du droit maintenant en discussion, – le droit d’ignorer l’État.
Source : Herbert Spencer - Le droit d'ignorer l’État