Hyangga – Poèmes du royaume de Silla

Les hyangga (향가), littéralement « chants du pays », sont une forme ancienne de poésie coréenne, composée entre le VIIe et le Xe siècle, principalement dans le royaume de Silla puis sous le royaume de Goryeo. Peu nombreux – seulement vingt-cinq ont été conservés – ces poèmes sont parmi les plus anciens témoignages littéraires de la Corée, et constituent une passerelle unique entre l’oralité rituelle, l’écriture savante et la spiritualité.

Transcrits en caractères chinois à l’aide d’un système mixte appelé hyangchal, les hyangga reflètent une langue coréenne ancienne. Chantés ou récités lors de rites funéraires, d’oraisons bouddhiques ou de moments de ferveur populaire, ils témoignent d’une vision du monde marquée par la compassion, l’impermanence, le lien entre vivants et morts, entre rois et sujets, entre humains et divinités tutélaires.

Chant de la comète – 혜성가 [HyeSong-ga]

혜성가(彗星歌)

舊理東尸汀叱 乾達婆矣
游烏隱城叱 良望良古
倭理叱軍置來叱多
烽燒邪隱邊也藪耶
三花矣岳音見賜烏尸聞古
月置八切爾數於將來尸波衣
道尸掃尸星利望良古
彗星也白反也人是有叱多
後句 達阿羅浮去伊叱等邪
此也友物北所音叱彗叱只有叱故
Chant de la comète

Jadis, à l’est, régnait l’ordre ancien, pur
comme les Gandharvas1,
Maintenant, il erre dans la ville obscure du corbeau noir — je regarde, j’attends... en vain.
Les troupes ennemies2 sont venues en grand nombre.
Les feux d'alerte brûlent aux frontières cachées, dans les forêts.
Trois fleurs sur la montagne sacrée3 annoncent des présages ; j’écoute, inquiet.
La lune se brise en huit morceaux et annonce les nombres funestes à venir.
Je purifie la voie4, j’efface les traces — vers l’étoile j’élève mes pensées.
La comète, blanche et inversée, apporte malheur : elle trace dans le ciel la mort d’un homme.
Ensuite, tu iras, n’est-ce pas, vers Arafu5, la terre d’après ?
Ainsi donc, ce souffle venu du nord, était-ce vraiment une comète, ou n'était-ce qu'un simple homme6 ?
1 Esprits célestes de la tradition bouddhiste, souvent musiciens, associés à la beauté et l'harmonie céleste.
2 Peut être lu phonétiquement comme "wo-ri", ou 倭 peut aussi désigner les Wa, ancien nom des Japonais.
3 Métaphores poétiques pour des signes du ciel ou de la nature.
4 Tentative de purification ou de préparation spirituelle face au présage céleste.
5 Le monde de l’au-delà.
6 Une âme humaine retournant à l’au-delà.

Regret – 회한 [HoiHan]

원가(怨歌)

物叱乎支栢史
秋察尸不冬爾屋支墮米
汝於多支行齊敎因隱
仰頓隱面矣改衣賜乎隱冬矣也
月羅理影支古理因潤之叱
行尸浪阿叱沙矣以支如支
貌史沙叱望阿乃
世理都 之叱逸烏隱第也
〈後句亡〉
Regret

Pourquoi suis-je devenu une chose abandonnée ?
L’automne passe, l’hiver approche ; dans cette maison, les feuilles tombent.
Toi1 qui m’as guidé si souvent sur le chemin du Dharma,
Je me prosterne vers ton visage disparu2, je change mes habits3 pour t’offrir l’hiver.
Sous la lumière de la lune, ton ombre glisse et humidifie mon cœur.
J’avance, vague après vague, sur la mer du chagrin.
Ton visage, laissé dans le sable, m’apparaît encore.
Dans ce monde gouverné par les lois du destin, tu t’es retiré dans la cité obscure4.
〈Dernier vers perdu〉
1 Allusion claire de l'auteur de ce poème, Sinchung (信忠), à son père défunt, Wonhyo  (元曉), l’un des plus grands penseurs bouddhistes de Corée.
2 Geste rituel d’hommage funéraire.
3 Rituel de deuil, ou offrande d’habits funéraires.
4 Royaume des morts / l’au-delà.

Chant de l’offrande florale – 헌화가 [HeonHwa-ga]

헌화가(獻花歌)

紫布岩乎邊希
執音乎手母牛放敎遣
吾肹不喩慙肹伊賜等
花肹折叱可獻乎理音如
Chant de l’offrande florale1

Près du rocher de pourpre, au bord du chemin,
J’ai lâché la main de mon buffle2 — le laissant aller.
Moi, je ne suis pas sans sagesse ; pourquoi devrais-je rougir ?
Si je cueille cette fleur3... pourrais-je te l’offrir ?
1 Poème lié à une légende : un noble hautain aperçoit une femme des montagnes, âgée, en train de cueillir des fleurs. Il lui demande, admiratif de sa beauté et de sa sagesse, une fleur. Elle lui répond par ce chant, retournant son regard condescendant en une question ouverte : cette fleur est-elle une offrande sincère ou une mise à l’épreuve ?
2 Buffle (femelle), souvent symbole de vie rustique, mais aussi du désir domestiqué.
3 Métaphore amoureuse évidente, mais aussi don symbolique.

Chant pour apaiser le peuple – 안민가 [AnMin-ga]

안민가(安民歌)

君隱父也
臣隱愛賜尸母史也
民焉狂尸恨阿孩古
爲賜尸知民是愛尸知古如
窟理叱大肹生以支所音物生
此肹食惡支治良羅
此地肹捨遣只於冬是去於丁
爲尸知國惡支持以支知古如
後句君如臣多支民隱如爲內尸等焉
國惡太平恨音叱如
Chant pour apaiser le peuple

Le roi est comme un père.
Les sujets sont aimés comme une mère chérit son enfant.
Quand le peuple se perd et devient fou, n’est-ce pas une douleur pour toi ?
Comprends que les aimer, c’est les guider ; les guider, c’est les sauver1.
Dans leurs maisons, les gens peinent à subsister ; leur vie est souffrance.
Leur nourriture est mauvaise, leur maladie non soignée.
Certains abandonnent leur foyer et errent durant l’hiver.
Saches que si tu gouvernes mal, c’est toi qui causes leur souffrance.
Le roi comme le sujet doivent se considérer comme un seul corps2
Car sinon, la paix du royaume ne sera qu’un regret illusoire.
1 Connaissance = devoir : compassion active du bouddhisme.
2 Fusion entre gouvernants et gouvernés — principe bouddhiste de non-dualité.