Nerval – Vers dorés
Eh quoi ! tout est sensible !
Pythagore.
Homme, libre penseur ! te crois-tu seul pensant
Dans ce monde où la vie éclate en toute chose ?
Des forces que tu tiens ta liberté dispose,
Mais de tous tes conseils l’univers est absent.
Respecte dans la bête un esprit agissant :
Chaque fleur est une âme à la Nature éclose ;
Un mystère d’amour dans le métal repose ;
« Tout est sensible ! » Et tout sur ton être est puissant.
Crains, dans le mur aveugle, un regard qui t’épie :
À la matière même un verbe est attaché…
Ne la fais pas servir à quelque usage impie !
Souvent dans l’être obscur habite un Dieu caché ;
Et comme un œil naissant couvert par ses paupières,
Un pur esprit s’accroît sous l’écorce des pierres !
Pythagore – Les vers dorés
I
Révère les dieux immortels. C’est ton premier devoir. Honore-les comme il est ordonné par la loi.
II
Respecte le serment. Vénère aussi les héros, dignes de tant d’admiration, et les demeures terrestres ; rends-leur le culte qui leur est dû.
III
Respecte ton père et ta mère, et tes proches parents.
IV
Choisis pour ton ami l’homme que tu connais le plus vertueux. Ne résiste point à la douceur de ses conseils, et suis ses utiles exemples.
V
Crains de te brouiller avec ton ami pour une faute légère.
VI
Si tu peux faire le bien, tu le dois : la puissance est ici voisine de la nécessité. Tels sont les préceptes que tu dois suivre.
VII
Prends l’habitude de commander à la gourmandise, au sommeil, à la luxure, à la colère.
VIII
Ne fais rien de honteux en présence des autres ni dans le secret. Que ta première loi soit de te respecter toi-même.
IX
Que l’équité préside à toutes tes actions, qu’elle accompagne toutes tes paroles.
X
Que la raison te conduise jusque dans les moindres choses.
XI
Souviens-toi bien que tous les hommes sont destinés à la mort.
XII
La fortune se plaît à changer : elle se laisse posséder, elle s’échappe. Éprouves-tu quelques-uns de ces revers que les destins font éprouver aux mortels ? Sache les supporter avec patience ; ne t’indigne pas contre le sort. Il est permis de chercher à réparer un malheur ; mais sois bien persuadé que la fortune n’envoie pas aux mortels vertueux des maux au-dessus de leurs forces.
XIII
Il se tient parmi les hommes de bons discours et de mauvais propos. Ne te laisse pas effrayer par de vaines paroles : qu’elles ne te détournent pas des projets honnêtes que tu as formés.
XIV
Tu te vois attaqué par le mensonge ? Prends patience, supporte ce mal avec douceur.
XV
Observe bien ce qui reste à te prescrire ; que personne par ses actions, par ses discours, ne puisse t’engager à rien dire, à rien faire qui doive te nuire un jour.
XVI
Consulte-toi bien avant d’agir ; crains, par trop de précipitation, d’avoir à rougir de ta folie. Dire et faire des sottises est le partage d’un sot.
XVII
Ne commence rien dont tu puisses te repentir dans la suite. Garde-toi d’entreprendre ce que tu ne sais pas faire, et commence par t’instruire de ce que tu dois savoir. C’est ainsi que tu mèneras une vie délicieuse.
XVIII
Ne néglige pas ta santé : donne à ton corps, mais avec modération, le boire, le manger, l’exercice. La mesure que je te prescris est celle que tu ne saurais passer sans te nuire.
XIX
Que ta table soit saine, que le luxe en soit banni.
XX
Évite de rien faire qui puisse t’attirer l’envie.
XXI
Ne cherche point à briller par des dépenses déplacées, comme si tu ignorais ce qui est convenable et beau. Ne te pique pas non plus d’une épargne excessive. Rien n’est préférable à la juste mesure qu’il faut observer en toutes choses.
XXII
N’entame point un projet qui doive tourner contre toi-même : réfléchis avant d’entreprendre.
XXIII
N’abandonne pas tes yeux aux douceurs du sommeil avant d’avoir examiné par trois fois les actions de ta journée. Quelle faute ai-je commise ? Qu’ai-je fait ? À quel devoir ai-je manqué ? Commence par la première de tes actions, et parcours ainsi toutes les autres. Reproche-toi ce que tu as fait de mal ; jouis de ce que tu as fait de bien.
XXIV
Médite sur les préceptes que je viens de te donner, travaille à les mettre en pratique, apprends à les aimer. Ils te conduiront sur les traces de la divine vertu ; j’en jure par celui qui a transmis dans nos âmes le sacré quaternaire source de la nature éternelle.
XXV
Avant de rien commencer, adresse tes vœux aux immortels qui seuls peuvent consommer ton ouvrage. C’est en suivant ces pratiques que tu parviendras à connaître par quelle concorde les dieux sont liés aux mortels, quels sont les passages de tous les êtres, et quelle puissance les domine. Tu connaîtras, comme il est juste, que la nature est, en tout, semblable à elle-même. Alors tu cesseras d’espérer ce que tu espérais en vain, et rien ne te sera caché.
XXVI
Tu connaîtras que les hommes sont eux-mêmes les artisans de leurs malheurs. Infortunés ! Ils ne savent pas voir les biens qui sont sous leurs yeux ! Leurs oreilles se ferment à la vérité qui leur parle. Combien peu connaissent les vrais remèdes de leurs maux ! C’est donc ainsi que la destinée blesse l’entendement des humains ! Semblables à des cylindres fragiles, ils roulent çà et là, se heurtant sans cesse, et se brisant les uns contre les autres.
XXVII
La triste discorde, née avec eux, les accompagne toujours et les blesse, sans se laisser apercevoir. Il ne faut pas lutter contre elle, mais la fuir en cédant.
XXVIII
Ô Jupiter, père de tous les humains, tu pourrais les délivrer des maux qui les accablent, leur faire connaître qui est le génie funeste auquel ils s’abandonnent.
XXIX
Mortel, prends une juste confiance ; c’est des dieux mêmes que les humains tirent leur origine. La sainte nature leur découvre tous ses secrets les plus cachés. Si elle daigne te les communiquer, il ne te sera pas difficile de remplir mes préceptes. Cherche des remèdes aux maux que tu endures : ton âme recouvrera bientôt la santé.
XXX
Mais abstiens-toi des aliments que je t’ai défendus. Apprends à discerner ce qui est nécessaire dans la purification et la délivrance de l’âme. Examine tout ; donne à ta raison la première place et, content de te laisser conduire, abandonne-lui les rênes.
XXXI
Ainsi, quand tu auras quitté les dépouilles mortelles, tu monteras dans l’air libre ; tu deviendras un dieu immortel et la mort n’aura plus d’empire sur toi.
Sources : - Pythagore - Les Vers dorés - Nerval - Les Chimères, Vers dorés